C'était probablement la toute première fois que la propriétaire sortait sa vieille voiture du garage. L'engin, qui devait bien au moins avoir une vingtaine d'année, avec un phare en panne, et une carrosserie rouge profonde constellée de motifs divers. C'était presque une pièce de collection, tant elle semblait toute pimpante, accordée à sa propriétaire au maquillage coloré et à la tenue excentrique, plumes et couleurs criardes agrémentant sa petite silhouette ronde. Comment marchait elle encore avec de tels talons à son grand âge ? Telle était la question. Mais les apparences étaient importantes pour ce soir-là.
Ce n'était pas fréquent, qu'une riche famille demande spécifiquement la participation de personnes issues des quartiers les plus modestes de la ville pour un évènement rassemblant nombre des représentants de la haute-société. Et Neven n'avait jamais imaginé que sa patronne puisse être affiliée de près ou de loin à des gens comme les Kaslana. Les Valkyries trainaient iels donc vraiment par chez eux de temps en temps ? Même les personnes n'étant pas des Imunlaukr ? Il imaginait mal un représentant des Kaslana dans le restaurant, assis dans son beau costume au milieu d'ouvriers bruyants et de familles aux marmots aux genoux écorchés et aux coudes pleins de terre. Pourtant, voilà que cette famille demandait expressément leur participation pour s'occuper de distribuer de la nourriture à l'inauguration d'une nouvelle exposition artistique... Il n'avait jamais été à ce genre d'évènement, et se demandait si c'était comme dans les films. Ah, si c'était le cas, il était parmi les mieux lotis : il était serveur, il pourrait au moins s'éclipser et se dégourdir les jambes sans feindre s'intéresser à de quelconques discours.
Pour une certaine raison, leur patronne les avait convoqué deux jours avant seulement, leur expliquant la situation, puis désignant qu'elle voulait emmener ses employé-e-s de confiance. Bien évidemment, le Sluagh ne s'était pas compté parmi ces personnes-là. Il travaillait certes ici depuis deux ans, mais c'était de manière sporadique, prendre sur lui pour ne pas agresser un client insultant était arrivé bien trop de fois, et il n'était jamais qu'un serveur... Mais voilà qu'il se retrouvait habillé d'une manière bien inconfortable, dans un costume monochrome dégoté par Algernon, pris en otage pour être peigné et maquillé, non sans que la chose à son arrivée n'arrache quelques remarques moqueuses de la part de sa collègue. Etait-ce ce que ressentaient les caniches chez le toiletteur ? Il se sentait comme un caniche sortant du salon, il ne se reconnaissait plus, tout était inconfortable, le parfum prêté sentait trop fort, il avait l'impression d'être une personne autre sans ses baskets dépareillées. La patronne avait dit qu'il était beau comme ça, mais à vrai dire, il se sentait misérable.
Assis à l'arrière de la voiture filant à toute allure auprès de sa collègue serveuse toujours aussi moqueuse, tenant les cartons de petits-fours pré-chauffés pour l'inauguration, il lorgnait par la fenêtre avec un air franchement grincheux. Les dernières semaines avaient été infernales : il avait eu tellement de travail qu'il n'avait même pas pu faire autre chose que travailler, il s'était retrouvé à être garde du corps pour une femme franchement insupportable pendant deux jours, n'avait vu aucun-e ami-e, avait attrapé froid et malencontreusement éternué sur un supérieur à Black Mamba, et était probablement rentré sur la liste noire des Imunlaukr. Non, ce n'était pas avec le chef de famille qu'il avait des ennuis, c'était avec un de ses petits fils ! Avec le même prénom ! Un voyou qui allait le dénoncer alors qu'il l'avait aidé ! Cela avait beau faire des semaines, pour lui c'était la veille. Il en faisait des insomnies et des cauchemars, il en était devenu à nouveau plus paranoïaque qu'accoutumé, presque à chercher la silhouette de Lucas Imunlaukr dans la rue. Il devait se moquer de lui... Non, il se moquait certainement de lui.
"Tout de même, tu devrais pas froncer les sourcils comme ça, ça te donne un air de gamin fâché, il faut faire des efforts ce soir," avait fait remarquer sa collègue, agacée par ses changements de positions frénétiques sur la banquette et son constant air grincheux. Elle préférait probablement quand il parlait et racontait des bêtises, c'était angoissant si même lui semblait inquiété. Mais pouvait il vraiment lui dire qu'il était plus dans cet état pour des raisons qui ne concernaient évidemment pas cette histoire d'inauguration ? "Allons, ne soyez pas stressé-e-s. Madame Kaslana est une bonne amie, tout se passera très bien. Les invité-e-s ne prêteront pas attention à vous plus que ça. Et entendez-vous bien, pas de disputes, d'accords ?" avait lancé la conductrice sur un ton paisible, empêchant toute escalade. Les deux employé-e-s sur la banquette arrière se contentèrent d'un hochement de tête, bien conscient-e-s qu'au fond, iels ne jouaient peut-être pas que leur job en cas de soucies, mais aussi la réputation de la patronne. Le cuisinier à ses côtés semblait d'ailleurs le plus nerveux du groupe, astiquant sa moustache avec frénésie, genoux tremblants. Le pauvre, il était talentueux, mais exagérément perfectionniste et inquiet à l'idée de décevoir... Il devait bien angoisser sur la qualité des petits-fours à distribuer.
Même si on leur avait demandé d’expressément ne pas se chamailler, il était toutefois que, pour évacuer toute trace de stress, les deux serveurs avaient bien fini par pousser une argumentation stupide, arrachant des soupirs à leur patronne, marmonnant quelque chose sur la jeunesse, mais faisant que le cuisinier, lui, semblait un brin avoir oublié ses angoisses. Il fallait dire qu'elle avait été stupide, cette racaille, de lui parler de sa teinte de cheveux, avec ses mèches roses fluo ! Pour qui se prenait elle ?! Et pourquoi spéculer sur qui donc avait réglé son incapacité à bien s'habiller, il pouvait le faire tout seul ! Et puis, comment diable avait elle appris pour l'incident devant la demeure des Imunlaukr... Oui, il s'était fait mettre à la porte... Mais tout le monde se faisait mettre à la porte ici, non ?
"Prends garde, ton Lucas Imunlaukr imaginaire pourrait être coincé sous une boîte de petits fours ce soir-même," avait glissé la serveuse aux mèches roses en guise de dernière provocation alors que la voiture prenait place sur un petit parking bien propre. Elle avait de la chance qu'il tienne plus à la réputation de sa patronne que son honneur. Et il était certain que ce Lucas Imunlaukr était réel ! Ce n'était pas une hallucination. Ça ne pouvait pas être une hallucination. Son cerveau n'aurait pas pu inventer un faux client, de faux messages, de faux appels, de fausses entrevues, un article de presse et une fausse altercation... Et puis, il allait bien récemment, il n'avait pas tant que ça de délires... Ce serait beaucoup trop grave. S'il pouvait halluciner de manière si poussée et réaliste, il était fichu. Mais s'il était réel... S'il était réel, il pouvait encore le dénoncer, il avait encore sa photo, et il pouvait non seulement mettre en danger son poste à Black Mamba, mais aussi ses colocataires et toutes les personnes dont il endossait les dettes. Il devait donc régler ça au plus vite avant qu'une catastrophe n'arrive...

Sortant de la voiture, décidant de faire profil bas en restant dans les pas de la patronne ouvrant la marche, non sans jeter des coups d’œils curieux aux environs, et à la sublime limousine dernier cri déjà sur le parking, il resta muet et obéissant jusqu'à arriver à leur quartier. Le cuisinier, lui, pourrait rester en majorité ici, loin des gens, mais eux... Ah, ne pouvait il pas demander à s'occuper des petits-fours aussi... Combien de personnes y allait il y avoir ? Ça allait sérieusement sentir trop de choses à la fois, il allait être malade. Enfin, il pouvait subir des salles de restaurants, alors il endurerait ça aussi. Juste une soirée... Quelques heures... Rester silencieux, distribuer, obéir, sourire, surtout sourire, et ne rien dire de déplacé...
Et puis, qui sait, peut-être que l'exposition était intéressante... Enfin, il n'y connaissait pas grand chose en arts visuels et décoratifs, il ne s'y connaissait qu'en musique. Il n'était pas patient, mais pour le travail... Il devait bien payer les taxes et les études de tout le monde. Il devait s'investir pour leur offrir un avenir un minimum normal, et de préférence sans subir la précarité. Parfois, il se sentait gêné, de n'avoir à offrir à Amicia qu'un appartement trop petit pour leur groupe. Il avait choisit de la récupérer et de s'occuper d'elle, mais plus il y pensait, moins il pensait être un bon gardien. Il avait fini de payer sa dette à elle, mais elle ne pouvait ni acheter tout ce qui lui plairait, ni vivre dans un endroit où elle aurait un espace rien que pour elle et un chauffage fonctionnel l'hiver. Etait-ce si rassurant de se dire qu'au moins elle avait un toit, à boire, à manger, et des gens pour veiller ? Ça ne le consolait pas du tout. Il n'était pas à l'aise non plus à l'idée de porter un costume qu'Algernon avait trouvé on ne sait où. Avait iel dépensé de l'argent ? Il n'espérait pas. L'idée le rendait mort de honte et de culpabilité.
Il devait faire son travail correctement. C'était le moins qu'il puisse faire.

La soirée d'inauguration s'était ouverte doucement, avec arrivée d'invité-e-s prestigieux, et un discours d'introduction général. Ensuite, il s'était contenté de marcher en automatique, servir à boire, à manger, chercher parfois la présence de sa collègue pour s'assurer que tout se passait bien de son côté aussi, sourire, dissocier, devenir tellement quelqu'un d'autre ou un robot qu'il n'en savait plus qui il était et où il était. On ne faisait pas attention à elleux, iels n'étaient que des gens là pour les servir, les seuls mots adressés étaient souvent juste des demandes pour à manger ou une nouvelle flute de champagne pleine. Ces gens-là disaient encore moins souvent merci que la moyenne... Mais après tout, c'était comme ça, iels étaient des insectes, et c'était tout.
Après il ne savait pas bien combien de temps, sa collègue l'avait tiré vers elle, glissant un "Eh, t'as vu ? Y'a l'ancienne top-modèle super populaire ! Là, regarde, c'est Haneul, elle est vraiment trop belle en vrai aussi !" Il n'avait aucune idée de qui elle parlait, plissant des yeux en cherchant la direction pointée sans trop savoir qui regarder. Il ne savait pas trop ce qu'était sensé être "une top-modèle trop belle", il était tellement déconnecté de toutes ces choses... A côté de lui, sa collègue serveuse continuait à s'agiter, tandis qu'il ne savait toujours pas vraiment qui donc elle pointait du doigt... Jusqu'à ce que son regard accroche une silhouette tranchant de par sa taille, au bras d'une effectivement magnifique femme dans la fleur de l'âge. Lucas Imunlaukr. Il avait déglutit, subitement comme à nouveau propulsé au sol, titubant d'un coup, demandant sur un ton incertain : "...A côté du gars super grand là ?" Lui jetant un regard curieux puis haussant un sourcil, elle rétorqua un "Oui, c'est ça. T'es vraiment perturbé à ce point juste parce qu'elle est belle ? Mon pauvre, je savais pas que t'aimais c'genre de femmes." Il n'avait pas la force de répliquer. Non, il se sentait même fébrile, fixant du regard la silhouette quasi familière de la personne qui avait hanté son esprit sans lui laisser aucun répit depuis l'incident de ce soir-là. Il se moquait vraiment de lui.
Recevant un coup de coude moqueur dans les côtes de la serveuse, celle-ci repartant à son travail, il avait filé rejoindre le cuisinier. Il devait l'attraper. Il devait le faire venir, et effacer la photo de son téléphone. Mais ces gens-là n'en avaient ils pas plusieurs ? Et s'il en avait un autre sur lui à cet instant ? Non, il devait le faire venir, le coincer, et lui faire payer. Il devait lui mettre une frousse assez monumentale pour que plus jamais il n'ait l'idée de faire le malin avec qui que ce soit de Black Mamba.
Attrapant un post-it, il se mis à réfléchir avec le peu de neurones fonctionnels lui restant en cette froide soirée. Où le coincer ? Il y avait un petit balcon dans le coin, mal placé, avec des rideaux... Il pourrait le coincer contre la porte, puis menacer de le jeter du balcon... Non, c'était au premier étage, il ne se ferait au mieux qu'une entorse... Mais où sinon ? Ah, il aurait vraiment dû un peu plus explorer le bâtiment avant l'arrivée des invité-e-s. Le couleur à l'étage opposé à celui pour aller aux toilettes, ça irait. Il n'aurait qu'à prétendre qu'il avait une arme à feu et était prêt à le réduire en passoire.
S'éclipsant de la pièce, plateau de flutes de champagne dans une main, petits-fours dans l'autre, il planifia son trajet pour approcher de sa cible de la manière la moins louche possible, vidant un premier plateau pour le mettre sous l'autre, tirant le post-it de sa poche. Il était là. C'était vraiment lui. Cette maudite racaille... Etait-il affilié à la top-modèle ? Il partageait quelques traits avec elle, à vite fait regarder, c'était peut-être quelqu'un de sa famille... Le bout des oreilles et les joues rougies (parce qu'il était fâché et se forçait à tout ravaler), il glissa le plus discrètement possible le mot avec une des flûtes de champagne restantes, s'éclipsant aussitôt.
Cette fois, il allait le coincer. Il allait l'attendre, et le coincer. Le plus vite serait le mieux. Ainsi, il pourrait revenir à son travail...
Fort heureusement, la fin de soirée arrivait, et beaucoup étaient déjà bien rassasié-e-s ou se forçaient à ralentir sur les boissons, leur facilitant grandement la tâche. Il pouvait laisser un peu sa collègue gérer... Et puis, si elle le voyait monter, elle aurait juste à spéculer qu'il allait aux toilettes. S'il restait trop longtemps à son goût, il n'aurait qu'à prétendre être malade... Ce n'était pas si faux : cet endroit empestait. Il y avait tellement de monde, il percevait tout et n'importe quoi, sa tête tournait un peu.
Gravissant les marches, et filant dans le couloir sombre, il resta ensuite là à attendre, collé au mur dans l'angle mort. Lucas Imunlaukr... Ce maudit Lucas Imunlaukr... Sa famille l'avait peut-être protégé jusque là, mais il ne perdait rien pour attendre ! Il s'était bien moqué de lui, mais cette fois, la roue allait tourner !
Guettant chaque bruit, restant le plus silencieux possible, il n'avait réagit qu'en entendant des bas aller dans sa directement, guettant jusqu'à ce que l'ombre projetée d'un jeune homme de grande taille soit assez proche pour qu'il soit certain de son cou. Alors, empoignant le col de l'individu pour le tirer vers lui, il le plaqua ensuite plus ou moins au mur -ou du moins essaya-. Paume collée à la surface plate du mur contre le dos du Valkyrie, sur la pointe des pieds pour préserver son peu de charisme face à la girafe mutante, expression sérieuse au visage, il commença sur un rauque : "Aucun cri et pas d'grabuge, sinon j'te troue comme une passoire." Faisant mine de rapprocher sa main libre d'une arme à feu imaginaire cachée dans son boléro de costume, il espérait ainsi que le prémisse serait suffisant pour arriver à ses fins. Malheureusement, il avait beau sentir des choses émaner de l'Imunlaukr, il était incapable de comprendre ce qu'il ressentait. Est-ce qu'il avait peur ? Est-ce qu'il se moquait ? Se sentait il confiant ? Il n'en avait aucune idée.
"Tu t'paies bien d'la tête des gens Imunlaukr, tu t'sens tant qu'ça intouchable ?" Rapprochant son visage du sien, cherchant à être menaçant, et à capter son regard, il se retrouva toutefois bien confus en croisant ses yeux. Ses yeux... Comment un voyou pouvait avoir des yeux comme ça... Il avait de grands yeux, comme un bébé faon... Avec cette tête-là, pas étonnant que tout le monde ait laissé filé ses comportements de canaille. "File ton téléphone, maintenant. Et déverrouille-le." ordonna t-il, surjouant un voix grave, se faisant pressant. Plus vite ça serait terminé... Et surtout, s'il pouvait éviter de se prendre une patate de Valkyrie, ça serait parfait.

Luam patientait tranquillement, jouant avec le carton d’invitation, tandis que sa mère terminait de se préparer. La famille Kaslana l’avait conviée à l’inauguration d’une de leurs expositions artistiques et elle se faisait une joie d’y assister, mais ne souhaitait pas s’y rendre seule. Elle avait donc sollicité sa présence et il avait accepté, même si cela signifiait qu’il devrait encore subir un bain de foule. Si cela faisait plaisir à sa mère, il pouvait bien endurer une soirée de plus pour elle. Puis, ça leur permettait de passer un moment tous les deux, et il avait l’impression que ça faisait une éternité que ce n’était pas arrivé donc d'une pierre deux coups. Finalement, cette exposition était la bienvenue. D’ailleurs, il avait été étonné d’apprendre qu’elle avait été invitée parce qu’il avait toujours entendu dire que ce n’était pas l’entente cordiale entre leurs deux familles. Mais sa mère lui avait avoué qu’elle y allait en tant qu’ancienne égérie et non en tant que l’épouse d’un Apocalypse. Et de toute façon, les ressentiments n’étaient qu’à sens unique, puisque les Kaslana n’avaient pas l’air d’avoir une dent contre elleux. Luam, lui, les appréciait, iels étaient des personnes simples et humbles qui gardaient toujours les pieds sur terre, arrivant à vous faire voyager grâce à leur art. On ne pouvait pas en dire de même pour les membres de sa famille malheureusement.

Fin prêts, ils se présentèrent au lieu indiqué sur l’invitation. De l’extérieur, Luam pouvait apercevoir une bonne partie du gratin de Sainte-Fontaine. Ça grouillait comme dans une fourmilière à l'heure de pointe et la galerie ne semblait pas suffisamment grande pour accueillir autant de monde. Il soupira légèrement avant de se reprendre pour sourire à sa mère. Une fois leur identité contrôlée, ils entrèrent et on les débarrassa de leur manteau. Ses yeux balayèrent la pièce rapidement, scannant quelques visages au passage avant de s’engouffrer un peu plus dans la foule. Les premières minutes lui parurent interminables puisqu'il les passa à saluer une bonne partie des personnes présentes, devant même parfois faire un brin de causette. Il se fichait pas mal de tous ces gens mais, comme toujours, en public, il avait appris à tenir un rôle et se devait de véhiculer une bonne image. À vrai dire, ce n’était pas chose compliquée pour lui puisqu'il était naturellement affable, néanmoins, l’introverti qu’il était avait parfois du mal à supporter autant en si peu de temps.

Après avoir passé un bref moment avec l’artiste, le valkyrie s’était un peu éloigné afin de contempler ses œuvres. Il n'avait pas trop d'esprit critique à ce sujet, se contentant simplement d'apprécier ce qu'il avait sous les yeux sans émettre de jugement. Attrapant la coupe qu'on lui tendit, il remercia le serveur par automatisme sans vraiment le regarder. Portant le verre à ses lèvres, il grimaça en découvrant son contenu, n'étant pas vraiment fan de champagne, ni de n'importe quel alcool en général d'ailleurs. « Tu as fait tomber quelque chose, mon chéri » l'informa sa mère en revenant vers lui. Suivant son regard, il baissa les yeux pour découvrir un bout de papier qu'il ramassa. Quelqu’un lui demandait de le rejoindre à l’étage. Curieux. « Pourquoi ne pas venir me parler directement ? » Sa mère fit une petite moue. « Une jeune fille timide peut-être ? » Luam fronça les sourcils, presque sûr qu’il s’agissait d'un homme et non d'une femme. Cherchant du regard le serveur, il ne tomba que sur sa collègue. « Allez, zou ! Ne la fais pas attendre » insista Haneul en le poussant légèrement pour qu’il se décide à y aller. Bon, le serveur n’était peut-être qu’un intermédiaire. Même s’il ne voulait pas y aller, il savait que sa mère ne lâcherait pas l’affaire. De plus, s’il s’agissait vraiment d’une technique de drague, il ne voulait pas laisser quelqu’un sans réponse et estimait qu’il valait mieux être éconduit plutôt que rester dans l’ignorance.

Une fois à l’étage, on l’empoigna par le col et le plaqua contre le mur. Son cœur s’emballa sous l’effet de la surprise et une plainte s’échappa d’entre ses lèvres à cause du choc. L’entrevue mystérieuse prenait une drôle de tournure. Luam baissa légèrement la tête pour lorgner le visage de son agresseur mais l’absence d’éclairage dans le couloir l’handicapa. Toutefois, il fronça à nouveau  les sourcils en reconnaissant la voix de l’individu. « Toi ! » grogna-t-il à son attention, ses yeux suivant vainement le mouvement de ce qu’il imaginait être sa main. Était-il en train de le menacer ? Décidément, il aimait cumuler les délits celui-ci. Avait-il vraiment une arme sur lui ? Il en avait déjà une lors de leur dernière rencontre, donc c’était tout à fait possible qu’il se trimballe de nouveau avec ça en poche, comme une sorte de grigri. Mais son allure de serveur lorsqu’il lui avait laissé le post-it laissait entendre qu’il était l’un des employés de la traiteuse donc il devait avoir été fouillé au préalable. On ne plaisantait pas avec la sécurité quand une bonne partie du gratin Fontainois était invité. Dans le doute, Luam préféra faire comme s’il était bel et bien armé, peu désireux de se prendre une balle à cause de son arrogance. « Qu’est-ce que tu me veux ? » C’était une vraie question parce qu’il était un peu confus face à cette démonstration de violence. Il ne l’avait pas dénoncé et n’avait parlé de cette nuit-là à personne, chose qu’il regrettait amèrement maintenant.

«  Comment tu m’as appelé ? » demanda-t-il, plus pour la forme qu'autre chose parce qu'il avait très bien entendu. Qu’est-ce qui lui faisait penser qu'il appartenait à cette famille de dégonflés ? Sa famille n’était certes pas la meilleure parmi les Valkyries, mais elle valait tout de même mieux que les Imunlaukr. «  Intouchable ? C’est vraiment l’image que je renvoie ? » Il n'avait pas cette impression, mais peut-être qu'il ne s’en rendait pas compte. Si tel était le cas, il fallait qu'il lui dise en quoi, parce qu'il voulait rectifier ça. Ses yeux cherchèrent ceux du serveur puis il pencha légèrement la tête sur le côté lorsque celui-ci aboya un nouvel ordre. Son portable ? Pourquoi le voulait-il ? Ah ! Sans doute pour la photo dont il avait lui-même oublié l’existence. « Si c’est pour la photo, c’est dommage, je la trouvais plutôt réussie mais tu penses vraiment qu’en la supprimant, le problème va s’envoler ? Je ne suis pas assez bête pour n’avoir garder qu’un seul exemplaire. » Se sentant en position de faiblesse, il se pencha légèrement sur la droite, et sa main tâtonna le mur à la recherche d’un interrupteur. « J’allais laisser couler pour la dernière fois parce que tu m’as aidé et que je t’en suis reconnaissant. Vraiment, merci. Mais là, tu viens de faire une erreur et cette fois-ci je ne laisserai pas passer si facilement. » Quel abruti ! S'il disait vrai et qu'il était vraiment armé à cause d’une faille dans la sécurité, alors il était fou de le chercher comme ça. Son esprit trouva judicieux de lui renvoyer des images du corps qu’il avait découvert avec la bibliothécaire la semaine dernière. Il déglutit difficilement et son cœur accéléra ses battements. « Tu bluffes pour l’arme », dit-il en inclinant légèrement le menton vers sa veste. De toute façon, foutu pour foutu, il n’hésiterait pas à vérifier par lui-même.

 

Si l'on croisait la chimère, l'apparition, l'objet de ses cauchemars obsessifs, la logique voulait qu'on s'en débarrasse. Et se débarrasser de la menace qu'était Lucas Imunlaukr, c'était mettre à l'abri beaucoup de personnes, en plus d'enfin lui soulager l'esprit. Il devait lui régler son cas, et effacer cette photographie de son téléphone, et il devait le faire ce soir-là... Comment fermer l’œil après si ce cirque ne prenait pas fin ici ? Il s'était bien moqué de lui, mais la moquerie ne pouvait jamais durer éternellement... Et à le voir de si près, en le coinçant contre un mur, il lui semblait sentir sa propre hémoglobine bouillir dans ses veines tellement il se sentait fâché. Il le reconnaissait ? Il fallait croire alors que depuis le début, il s'était vraiment moqué de lui. Est-ce que ce genre de jeux l'amusant tant ? Quelle type de racaille pseudo-adepte du suivi de l'ordre avait des occupations aussi tordues ? Non, c'était vrai, d'eux deux, évidemment qu'il était le seul hors-la-loi...
Et quelle audace avait donc ce Valkyrie à lui demander ce qu'il voulait ! Il se payait complètement de sa tête ! Si ça n'avait tenu qu'à lui, peut-être qu'il aurait vraiment dû le jeter par-dessus un balcon ! Malheureusement, le dit balcon disponible n'était pas assez haut, et le chemin pour y accéder était probablement truffé de caméras de surveillance.... Des caméras de surveillance... Il n'avait pas pensé à ça. Il s'était jeté dans un plan de dernière minute sans réfléchir à cette possibilité. S'ils étaient filmés... Non, le couloir était plongé dans l'obscurité, ça irait... Tout le monde était bien occupé au rez-de-chaussée, l'évènement se déroulait comme sur des roulettes et sans grabuges, pourquoi s'inquiéter ? Il avait juste à libérer le fichu Imunlaukr une fois hors de danger.
Imunlaukr, qui, pour une certaine raison, semblait avoir été interloqué à l'idée qu'on l'appelle ainsi. Son odeur avait subtilement changé, et même s'il ne pouvait l'analyser, il se disait qu'étant donné que c'était une question, il devait juste être perturbé. Mais pourquoi donc ? Et bien sûr qu'il se donnait des airs intouchables ! Il l'avait nargué tout ce temps ! Il était venu à un évènement sans protection après lui avoir torturé l'esprit comme si de rien n'était ! Mais... Il devait y avoir quelque chose qui clochait... Pourquoi demandait il pourquoi il l'avait appelé Imunlaukr ? C'était évident, non ? "...T'es pas l'p'tit fils du vrai Luka Imunlaukr...?" Parce que qui sinon se serait aventuré seul la nuit dans les quartiers est ? Les Valkyrie n'étaient pas connu-e-s pour sortir de leurs petits quartiers confortables, et l'est avait beau ne pas avoir la réputation d'être mal famé, il n'en demeurait pas moins que ça restait une zone globalement plus précaire que l'ouest, le nord, ou le centre-ville. Avait il était faire un scandale devant leur demeure... pour rien du tout ? Non non, ce voyou essayait de l'embrouiller ! Il tentait de lui retourner le cerveau ! "T'essaie d'me r'tourner l'cerveau, c'est ça ? Ta famille t'a protégé, y disent qu't'es pas des leurs... Mais qui livrerait son gosse à part des gens indignes... T'as pas l'air d'être un rat des rues, y t'ont pas mis dehors." Bien sûr qu'ils diraient qu'ils ne le connaissaient pas ! Il fallait le protéger ! Personne ne livrerait quelqu'un de sa famille, encore moins à un inconnu louche mal habillé avec un air grincheux et quelques menaces à la bouche. Il était si bien habillé, ça devait être un de leurs bébés choyés...
Pressé par l'idée qu'il devait retourner à son travail au plus vite, il en vint donc au sujet : il devait prendre le portable du Valkyrie, et effacer cette photo pour toujours. Mais, faute de faire semblant d'avoir peur, voilà donc que sa cible commençait à émettre la possibilité de l'existence de plusieurs exemplaires. Plusieurs exemplaires..? C'était un cauchemar. "Ta gueule, file c'putain d'téléphone," répéta t-il, non sans un gain de nervosité. Il ne devait pas plus hausser le ton, pas perdre totalement contenance, pas l'amocher, et surtout pas trop traîner. Il avait beau avoir la possibilité de se prétendre souffrant, c'était un mensonge, et il abandonnait toujours sa collègue seule à la distribution.
Lorgnant sur le prétendu dénommé Lucas, il l'observa tâtonner, l'espace d'un instant confus quant à ce qu'il cherchait à faire. C'était comme s'il ne savait même pas ce qu'il cherchait... Ou alors, était-ce qu'il ne voyait strictement rien ? Mais toute possible conjecture intelligente lui fut arrachée par les mots émis par le jeune homme qu'il avait coincé. Reconnaissant ?! Reconnaissant ?! Cette ordure... "T'prends des photos des gens qui t'aident pour les dénoncer par r'connaissance ?! Pour qui tu t'prends ?! T'es un putain d'connard, t'voulais juste faire une pierre deux coups, c'est ça ?! Pourquoi sinon ?!" Il se moquait vraiment de lui. Il le prenait de haut, c'était sûr. Pourquoi dire tout ça sinon ? Il n'était pas sincère. Il ne pouvait pas être sincère parce que ça ne faisait aucun sens. Mais que pouvait il faire s'il n'avait pas peur, s'il ne donnait pas son téléphone, s'il avait des copies, s'il pouvait... Il devait le tuer. Non. Il ne pouvait pas tuer quelqu'un. Et il finirait enfermé, ça reviendrait au même que le laisser partir. Que faire ? Qu'est ce qu'il pouvait faire ? Il n'avait pas l'intelligence d'Algernon, ni de la plupart de ses aînés au même poste à Black Mamba... Il n'était qu'un idiot impulsif, et il ne savait pas quoi faire. S'il tombait, il entraînerait d'autres dans sa chute, il ne devait pas faillir.
Sa seule consolation était de se dire que son adversaire n'était pas pleinement confiant, qu'il déglutissait parce qu'il était lui-même sous tension, et qu'il y avait une chance. Avait il deviné pour l'arme ? Non, il ne pouvait pas... "Tu bluffes pour les copies, file c'téléphone, ou efface ça toi-même... Juste... Efface cette photo..," articula t-il, retenant tout ce qu'il avait en lui pour ne pas exploser. Ce n'était pas une demande irraisonnable, alors pourquoi refusait il ? N'était-ce pas là la preuve qu'il se jouait de lui ? Qu'il se moquait ? Qu'il le prenait pour un jouet, une distraction dans son quotidien, le stupide type de Black Mamba avec lequel s'occuper ? Pour eux deux, les enjeux n'étaient pas les mêmes... Et s'il craignait qu'il vole son téléphone, il pouvait bien s'en racheter des centaines d'autres, non ? Tout ce qu'il avait à perdre, c'était son stupide téléphone au pire des cas, ce n'était strictement rien, non ? Il en avait fait des cauchemars, avait été saisit d'angoisse pendant des semaines, et lui rien. Rien. Pour ces gens là, c'était inconséquent. Et évidemment, il ne pouvait que le détester, le détester à cet instant d'une manière si viscérale qu'il avait abandonné l'histoire du pistolet, l'attrapant par le col à deux mains, furieux, ne pouvant cette fois-ci s'empêcher d'hausser le ton : "C'est marrant qu'pour toi ces conneries, tu vois pas ?! T'as tellement d'mépris qu'tu mens à répétition pour t'sauver, t'as jamais été reconnaissant d'quoi qu'ce soit, j'aurais dû t'laisser crever, j'aurais dû..." S'il l'avait laissé, il n'aurait jamais pris cette photo, il n'y aurait jamais eu cette épée de Damoclès au-dessus d'eux, il aurait juste laissé un homme potentiellement mourir, et c'était tout. Et puis, il était puissant, non ? Il se serait défendu seul. Un Valkyrie n'avait pas besoin d'un stupide garde du corps de Black Mamba, encore moins un débutant ayant à peine dégoté cette fonction. Il n'était personne, et il le comprenait à nouveau. Comment défendre les autres s'il pouvait se retrouver dans cette situation ? Il ne savait pas comment gagner autrement qu'en frappant, mais il ne pouvait risquer à ses collègues et sa patronne de perdre de précieux partenariats professionnelles ou plus, ni risquer de se faire attraper pour ça. C'était la réalisation glaçante que, de toute évidence, c'était lui qui avait perdu. Par sa propre faute, parce qu'il avait pris cette décision, parce qu'il avait aidé le garçon Valkyrie, il avait mis en danger tout le monde. C'était de sa faute à lui. Il était seul responsable du déroulé de la situation.
Il avait lâché le col de Luam, comme si sa colère s'était dégonflée. Il ne pouvait pas laisser tomber Amicia. Ni les autres. Il s'occupait d'elle depuis six années, il avait réussi à la protéger six ans de suite, il avait promis de s'occuper d'elle, de la protéger comme les autres adultes n'avaient pas pu le faire. Elle avait une vie quasi normale, elle allait à l'université, elle avait des ami-e-s, elle faisait des bêtises, elle avait des centre-d'intérêt de jeune adulte classiques... Personne n'avait le droit d'arracher ça.
Mué d'une volonté nouvelle, entrevoyant subitement une porte de sortie, il s'était mis à fouiller directement les poches du Valkyrie sans lui demander quoi que ce soit de plus en quête du convoité objet avec une idée clair : noyer l'appareil dans les toilettes. S'il ne pouvait pas faire autrement, tant pis. Mais où donc est-ce que ce stupide type avait mis ce maudit appareil ? Visiblement, pas dans une poche bien mise en évidence, ah... Et combien y avait il de poches sur lui ? Il n'avait quand même pas caché son téléphone dans son slip ?! De toute évidence, s'il ne trouvait pas l'objet et que le Valkyrie ne se décidait pas tout seul d'ici là à effacer tout seul la photo ou de se défendre en bonnes et dues formes, il était bien capable de vérifier.

Mauvaise soirée, mauvais karma. Sa vie était parsemée de mauvaises situations en ce moment, et il ne comprenait pas pourquoi la poisse semblait s’être attachée à lui. Il n'avait rien fait pour, que ce soit lors de leur première rencontre où il s'était visiblement retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, mais aussi pour la découverte au parc de la semaine dernière. Cependant, comme deux était toujours accompagné de trois, le voilà qu'il essuyait sa troisième malchance. Même s'il avait pris une photo de ce gars, il n'avait jamais eu l'intention de le revoir ou d'en faire quoi que ce soit. C'était vrai qu'il l'avait tout d'abord prise par sécurité, au cas où, mais il avait très vite oublié l'idée de le dénoncer aux forces de l'ordre. Non pas parce qu'il avait finalement été impliqué aussi en frappant l'un des malfrats, mais parce que l'autre l'avait aidé. Sans son aide, il aurait terminé dans le caniveau à se vider de son sang. Puis, la deuxième raison était aussi qu'il avait besoin de mettre un visage sur ce drôle de voyou paradoxal.

Si lui avait oublié cet incident, le plaçant en arrière-plan dans sa vie de tous les jours, ce n'était visiblement pas le cas pour l'autre. Qu'est-ce qui pouvait bien le déranger dans tout ça ? Se mettre dans des états pareils pour une seule photo était tout à fait disproportionné. Chaque jour, des centaines de caméras devaient capturer son visage, et ce, à chaque coin de rue, alors pourquoi s'angoisser à l'idée de savoir qu'un inconnu avait sa trogne sur son portable ? Son statut de membre de Black Mamba ne lui seyait guère dans de telles conditions. Luam se laissa empoigner sans se débattre. À quoi bon de toute façon ? Il ne voulait pas utiliser la force pour se sortir de ce nouveau pétrin. Il fut néanmoins interloqué par le nom qu'on lui affubla. Imunlaukr ? Qu'est-ce que ça venait foutre là ça ? Pourquoi de toutes les familles de Valkyrie, son choix s'était arrêté sur elle ? Luam ne les connaissait pas plus que ça, mais les ressentiments des siens envers cette famille arrivaient à brouiller son impartialité.

« Parce qu'il y en a un faux ? » se moqua-t-il malgré la situation, ayant quand même du mal à le prendre au sérieux par moment, tant il avait des réactions peu en adéquation avec celles d'une véritable crapule. Cependant, il fut un peu affecté par la suite de sa phrase. Il ne se pensait pas intouchable, la preuve puisqu'il avait réussi à l'approcher. De plus, il s'évertuait à chasser ces côtés de lui, malheureux vestiges de son éducation élitiste. Il ne voulait être au-dessus de personne, bien au contraire, il rêvait d'un monde où tout était plus équitable. Le serveur reprit la parole, et Luam fronça les sourcils. S’il disait ça, ça signifiait qu’il s’était renseigné sur la famille ? « T’es allé déranger papy ? » Non, ce n’était pas bien de continuer de l’emmener sur une fausse piste. D’autant plus s’il s’était vraiment rendu à la résidence des Imunlaukr, ce n’était jamais bon de se mettre à dos une famille de Valkyrie, donc s’il pouvait lui éviter une nouvelle visite là-bas, valait mieux dire la vérité. « C’est parce que je ne suis vraiment pas des leurs… » avoua-t-il finalement. « N’y retourne pas si tu ne veux pas de problème. » Il était sincère. Il ne voulait pas que les deux côtés se retrouvent mêlés à des problèmes à cause de sa faute, juste parce qu’il avait menti sur son identité.

Force est de constater que la photo semblait être au centre de toute cette agitation chez le serveur. Luam ne put s'empêcher de bluffer sur d'éventuelles copies. Il ne savait pas pourquoi il s'évertuait à mentir ainsi alors qu'il lui suffisait simplement de la supprimer pour être tranquille. Mais c'était qu'il n'appréciait pas la façon de faire de l'autre; la violence ne réglait rien, et ce dernier n'avait pas l'air de le comprendre. Donc, il n'allait certainement pas céder à sa requête, pas tant qu'il se montrait agressif envers lui. Il ne pouvait pas dire qu'il était serein, bien au contraire. Il se sentait anxieux parce qu'il décelait tout de même un côté instable chez l'autre. Il pouvait très bien lui en foutre une sous le coup de l'impulsivité. « Rahh, tu ne sais pas parler sans aboyer. T'es bien un sale clébard de Black Mamba » cracha-t-il à son tour, agacé de se faire insulter gratuitement une nouvelle fois. Mais sa colère retomba aussi vite qu'elle était montée, estimant que s'emporter ne mènerait à rien. « J'avais besoin de voir ton visage » avoua-t-il, les joues un peu rosies, soudain mal à l'aise de dévoiler une faiblesse. S'il ne s'était pas encore rendu compte qu'il n'y voyait rien dans un environnement faiblement éclairé, cela comblerait son manque d'observation.

Mais le ton se fit plus pressant, et la prise sur son col plus étouffante. Son pouls s’accéléra, trop conscient que les mains qui empoignaient sa veste pouvaient se retrouver autour de son cou. Ce n’était pas bon, il n’avait réussi qu’à l’énerver davantage. Malgré cela, il ressentait une pointe de fierté de ne pas avoir choisi la facilité. Il n’aimait pas céder facilement, c’était aussi ce qui faisait de lui un bon élément à l’Ambassade. « Je croyais qu’il n’y avait rien de noble à laisser quelqu’un mourir. T’as des principes, oui ou non ? » Ça n'avait été que de belles paroles, ou les pensait-il toujours ? La colère devait sans aucun doute parler pour lui. Puis revenant sur ses dernières paroles, Luam réfléchit. S’il avait appris à mentir, c’était avant tout pour se protéger et non pas pour causer du tort à autrui. Il avait dû apprendre à jouer la comédie, à revêtir un rôle pour ne pas sombrer ou risquer de s’en prendre une par son père ou l’Ordre. Alors, de par son statut social, la richesse de ses parents et son nom prestigieux, il devait bien paraître arrogant aux yeux du Sluargh, et il avait sans doute raison. Même s’il n’avait pas vraiment eu la vie parfaite que les gens imaginaient pour lui, il n’en restait pas moins un privilégié. Il savait qu’il y avait bien pire, il y avait toujours pire d’ailleurs. C’était déplorable de penser que certains vivaient dans la misère, et peut-être que c’était le cas pour ce serveur. Il devait sans doute avoir rejoint les rangs de Black Mamba par nécessité plutôt que par choix.

Puis finalement, sans raison apparente, la colère semblait avoir quitté son assaillant puisque ce dernier avait daigné lâcher son col. Un peu perturbé par ce revirement de situation, il lissa le tissu froissé et prit un air interrogateur. Que pouvait-il bien se passer dans la tête de ce voyou ? La réponse ne se fit pas attendre. Sentant une main tâter l’une de ses poches, Luam s’était presque contorsionné afin d’éviter un nouvel assaut un peu trop près de ses côtes. Chatouilleux, il serait mal venu qu’il se mette à rire dans un moment pareil. « Tu me fais les poches maintenant ? » demanda-t-il entre ses dents pour ne pas laisser un gloussement sortir. Ce type était vraiment bizarre puisqu’il avait l’air résolu à ajouter le vol dans la longue liste de délits qu’il détenait déjà. À quel moment s’était-il dit que ça serait la solution la plus judicieuse ?

La lumière s’alluma, Luam leva les yeux un instant avant de les reposer sur le serveur quand une voix se fit entendre. Tournant la tête dans sa direction « Oh pardon, je n’ai rien vu, je ne fais que passer. » Pardon ? Que croyait-il avoir interrompu ? La position était trompeuse, mais tout de même, le Valkyrie ne s’adonnerait jamais à ce genre de chose dans un lieu où il pouvait y avoir du passage. Et là n’était pas la question ! Était-il à ce point aveugle pour ne pas voir qu’ils n’étaient pas un couple en train de se bécoter, mais qu’il s’agissait plutôt d’une agression ? Trop abasourdi par l’absurdité de la situation, il n’avait pas réagit à juste titre. Bon, s'il voulait juste supprimer une photo, qu’il le fasse. Luam pourrait toujours obtenir son identité auprès de son employeuse. « C’est bon, c’est bon. Bas les pattes ! » dit-il en le repoussant d’une faible pression sur l’épaule. Sortant son portable de la poche intérieure de sa veste, celle qu’il n’avait pas réussi à atteindre grâce à son esquive, il le déverrouilla avant de lui tendre. Bien trop naïf et confiant, oubliant presque à qui il avait affaire. « Tiens, tu peux l’effacer. Ça ne m’amuse pas, j’imagine que tu as tes raisons. Disons qu’avec ça, nous sommes quittes. » concéda-t-il dans un soupir. Luam n’aimait pas qu’on ne croit pas en ses mensonges, mais il détestait encore plus qu’on ne le croit pas lorsqu’il était honnête. Que sa reconnaissance soit remise en cause le peinait, et il ne savait pas se l’expliquer. « Je n'arrive pas à te cerner » Il le fixa de ses grands yeux, toujours perturbé par son attitude désordonnée. « Quitte Black Mamba si tu ne veux pas te retrouver dans ce genre de situation. Tu mériterais d'être derrière les barreaux pour tous tes manquements à la loi, mais t'as l'air de penser que c'est moi le méchant de l'histoire. Alors que ce qui te pousse à faire tout ça et te foutre dans la merde, ce sont seulement tes actions et tes affiliations. Personne ne peut t'aider, certainement pas une organisation aussi pourrie qu'elle. »

Il y avait une anxiété latente et constante à savoir manquer de capacité de communication, et ce d'autant plus à des personnes qu'il ne lui semblait vraiment pas comprendre. Le monde d'au-dessus, des gens d'en haut, de bonnes familles, des personnes qui seules avaient plus de pouvoir que des milliers de gens comme lui... A quel point leurs univers pouvaient être différents ? Il n'en savait pas tant que ça dessus, il avait passé dix-sept ans dans un village où il y avait certes plusieurs paliers de niveaux sociaux, mais jamais rien d'aussi remarquable et important que ce qu'il avait vu une fois à Sainte-Fontaine. Là-bas, il avait imaginé trouver un refuge, la chimère de la ville des rêves ultra-moderne, le centre du monde, des hiérarchies différentes, bien immenses, insidieuses et hypocrites que ce qu'il avait toujours connu... Et les autres années avaient surtout été dédiées à survivre, ne lui laissant que peu entrevoir des hautes sphères. Pour commencer, des riches, il interagissait surtout avec à travers le travail, avec Black Mamba ou d'autres emplois précaires, et pas des personnes qui en plus avaient accès à ce type de prestige.
Luam était par essence, un alien à ses yeux. Et il était surtout un alien dangereux. Il ne savait pas à quoi il jouait, mais à ses yeux, c'était évident qu'il se moquait de lui. Il exerçait probablement une espèce de torture psychologique simplement parce qu'il pouvait, et parce que c'était évident. Ce n'était probablement pas évident pour d'autres, mais ça ne pouvait que l'être dans l'esprit de Neven, trop habitué aux sentences tardives et à la cultivation de la crainte de celles-ci, sur-entraîné à voir ce type de menaces et à être incapable de trouver la paix sans que la chose se termine par la sanction ou un évitement certain de celle-ci. Et le spectacle face à lui le rendait d'autant plus furieux qu'il était persuadé que son interlocuteur mentait, continuait à se moquer, jouait avec lui parce que ce n'était jamais conséquent que pour l'un d'entre eux. Qu'est ce qu'il essayait de signifier, à confirmer qu'il était un Imunlaukr en parlant du grand-père pour finalement lui dire qu'il n'en était pas un et qu'il ne devait plus les embêter ?! Il se payait vraiment de sa tête !
A dire vrai, cette histoire de reconnaissance lui filait la nausée. Qui exprimait sa reconnaissance ainsi ? C'était juste un jeu de tordu, des techniques de manipulation, un gosse de riche qui s'amusait parce que ça le changeait de sa vie morne... Qu'est ce qu'il faisait dans la vie ? Héritier, rentier au chaud à la maison à tamponner des papiers et dépenser des sous ? Employé d'une entreprise à ses parents ? Probablement quelque chose de barbant, avec pleins de papiers. Il détestait ce genre de jobs, c'était mieux de travailler de ses mains, les textes inutilement complexes lui donnaient mal au crâne. Et tout allait dans le sens de ses pensées chez ce garçon, il ne répondait que des choses qui le rendaient juste de plus en plus furieux. Il ne répondait à aucune question, il ne laissait aucune manière de le comprendre, il se contentait de visiblement se fâcher de se faire insulter, parce qu'après tout, c'était le principal sujet, et pas son stupide mensonge. Il n'allait pas tirer sur cet hameçon là, il n'avait pas tant que ça de fierté, il était mieux d'être un chien de Black Mamba que bien d'autres choses.
Et puis, le sujet principal restait effacer cette fichue photographie, pas se disputer avec un type qu'il ne connaissait même pas, et qui semblait bien s'agiter étrangement, à tâter le mur. Et à propos de la photo, l'excuse qui échappa finalement au Valkyrie lui arracha quelques longues secondes d'incompréhension. C'était quoi son problème ? Le cerveau du Sluagh tournant ainsi dans la semoule, comme un vieil ordinateur tentant désespérément de charger une application un brin demandeuse, décidant que c'était probablement encore une de ses viles techniques de renard fourbe. Il voulait utiliser cette image pour quelque chose, il allait mettre plusieurs personnes en danger, et ce n'était jamais qu'un jeu.
Même s'il pensait avoir agit justement, Neven se retrouvait traversé par l'immonde impression qu'il avait fait une erreur, que tout n'était jamais que de sa propre faute. S'il était été raisonnable, s'il avait choisit de passer son chemin, de ne pas chercher à protéger quelqu'un qui n'avait jamais été son client, cette situation n'existerait pas. Il avait mis Amicia en danger. Mais qu'aurait il dû faire ? Laisser ces personnes l'agresser ? Le laisser se vider de son sang dans la rue ensuite parce qu'il aurait assez fait ? Les choses étaient faîtes, et les résultats étaient les mêmes même s'il espérait des scénarios différents : avec cette photo, sa parole, les accusations qu'il pouvait faire, il pouvait faire énormément de mal, et il semblait s'en amuser. Il était incapable de le confirmer avec ses propres pouvoirs innés, mais ça lui semblait clair : pourquoi sinon n'aurait il pas déjà effacé la photographie, ou donné ce téléphone ? Ça se faisait aucun sens, ça ne pouvait que vouloir dire une chose, et il détestait la personne qu'il avait face à lui, s'emportant d'autant plus, l'attrapant par le col à deux mains, s'exprimant avec des mots qu'il ne pensait pas vraiment, s'arrêtant pour ne pas fondre en de pathétiques explications de son point de vue. Il devait se calmer. "J'vais vraiment t'faire la peau, 'spèce d'ordure," gronda t-il face à la réponse du Valkyrie, peinant encore à redescendre face à ses mots. Qui était il pour parler ce principes ?! C'était drôle parce qu'il l'avait coincé, parce qu'il savait qu'il avait gagné, c'était ça ? Mais les racines revenaient tout de même à ses propres actions : il ne l'avait pas laissé tombé, et c'était pour ça qu'il avait maintenant une épée de Damoclès au-dessus de la tête. C'était de sa faute. Ses propres choix. Il avait mis Amicia en danger en choisissant d'aider quelqu'un. Il lui avait encore porté malheur.  
Sa colère s'envolant à la pensée de sa plus précieuse protégée, il lui était venue avec une nouvelle idée, un nouvel élan : si le Valkyrie refusait de coopérer, il n'avait qu'à tout faire tout seul. Il n'avait pas le temps de discuter, d'être fâché, de spiraler dans la haine de soit ou tout autre action inutile : il devait récupérer ce téléphone, et faire disparaître tout ce qui pourrait servir à ce qu'on l'accuse d'avoir été présent cette nuit-là. Ainsi, ne demandant évidemment rien à son interlocuteur, il s'était mis à lui faire les poches, réussissant un premier assaut avant que finalement sa cible esquive, faisant la demande la plus absurde de la soirée. "Oui, j'te fais les poches, t'vois pas ?" S'il lui donnait pas son stupide appareil, il devait le lui prendre. Mais s'il s'amusait à se contorsionner pour éviter qu'il trouve ce qu'il cherchait... Il prenait vraiment ça pour son animation de la soirée, ce n'était pas possible... Il détestait ce type, il le détestait...
Il sursauta toutefois quand la lumière du couloir jusque-là sombre s'alluma, Ne regardant même pas le Valkyrie, sourcils froncés, bien insatisfait de se voir pris en plein délit de menace d'un invité d'une soirée prestigieuse, il aperçu un inconnu non loin, qui de toute évidence semblait surpris (choqué ?) par ce qu'il venait de voir. Avait il deviné qu'il était en train de violenter un fils de bonne famille ? Il était cuit. Il devait agir vite, et avant qu'il puisse prévenir qui que ce soit. Il n'avait rien vu... Il était vite repartit, peut-être qu'il oublierait vite leurs visages. Avec un peu de chance, il pensait que c'était autre chose qu'une agression... Toute façon, sinon, sa victime aurait crié à l'aide, non ? Non ? C'était juste une discussion entre amis ! Il n'avait pas voulu interrompre leur discussion amicale ! Mais pourquoi cet air surpris ?
Rendant son attention au véritable sujet, misant sur le regard le plus méchant qu'il pouvait lancer au Valkyrie, il s'apprêta à recommencer à lui faire les poches jusqu'à ce que, peut-être saisit d'un élan raisonnable, comprenant que ce n'était plus si drôle, celui-ci sortant son portable, caché dans la poche opposée à celle qu'il avait fouillé. Pourquoi s'était il finalement décidé à le lui donner ? Etait-ce parce que la lumière était revenue ? Ah, certainement, il avait été intimidé par son effrayante apparence de gangster ! Non peu fier d'enfin avoir l'impression d'avoir un pseudo-charisme (il était complètement à côté de la plaque, mais c'était toujours bien de rêver), il lorgna sur l'écran tandis que le propriétaire de l'appareil le déverrouillait, attrapant ensuite le téléphone à deux mains. "Voilà, c'est plus raisonnable," laissa t-il tomber, prenant un air qu'il pensait être celui d'un gangster félicitant sa victime non sans demeurer menaçant. En réalité, il avait surtout l'air d'un hamster finalement satisfait d'avoir l'objet de toutes ses inquiétudes en main, cherchant la galerie avec un air satisfait. Après ça ils seraient quittes... C'était ce qu'il croyait. Avec tout ce qu'il avait infligé en inquiétudes, il faudrait plus !
Contemplant la galerie du garçon de bonne famille, absolument pas particulièrement déçu par son contenu, il ne l’écouta que d'une oreille. Ah, il se fichait bien qu'il ne le comprenne pas, il ne souhaitait pas devenir ami... Il était d'ailleurs content à l'idée de potentiellement ne jamais le recroiser de sa vie, ce qui était une perspective formidable. Mais tout ce même, cette galerie de photos... Des animaux croisés dans la rue, des paysages, des papiers... Il semblait bien ronflant. Pas étonnant qu'il s'amuse de torturer psychologiquement des gens pour s'occuper. Ouvrant une photographie des dits papiers après avoir effacé la fameuse photographie responsable de tout ce bazar, il plissa des yeux pour déchiffrer, zoomant, essayant de comprendre ce qui était écrit sans rien comprendre. De l'administratif... Aussi chiant que le reste de la galerie photo. Quand il parlait, ses mots se superposaient d'ailleurs aussi au reste. Quitter Black Mamba, il méritait d'être en prison, moi je suis le gentil tout mignon, la vilaine organisation maléfique... Il voulait qu'il s'énerve à nouveau ? Il avait effacé la photographie, il s'en fichait maintenant, il pouvait continuer à parler. "M'en fous. Y'a pas besoin d'Black Mamba dans un monde où il suffit de suivre les règles et bosser pour bien vivre. Puis elle est pas juste ta justice, Monsieur Gentil. C'quand qu'les gens d'chez vous vous arrêtez d'censurer les affaires de disparitions et maladies à cause du Fragmentum ?" Mais il devait être persuadé d'avoir raison. Il doutait seulement qu'il ait rencontré des personnes vivant dans de mauvaises conditions et parlé avec. Les gens comme ça... Il n'avait pas à faire le saltimbanque pour lui plus que ça, ça n'avait aucun sens. Scrollant encore un peu, un brin curieux, il finit par tomber en remontant assez sur des photos du garçon avec une petite fille au teint pâle maladif. Qui était-ce ? Il n'y avait pas vraiment d'autres personnes dans la galerie, laissant probablement songer que la petite devait être quelqu'un d'un peu important. Elle lui ressemblait un peu, comme si - Nouveau message de : Maman. Il fixa quelques secondes la notification en clignant des yeux, cliquant ensuite pour avoir accès au message. Il n'y avait pas de lien logique véritable entre les deux derniers messages, c'était entièrement une nouvelle discussion, et le SMS lisait : "Tout se passe bien ? ;)". Qu'est ce qui se passait bien ? La paranoïa voulait le pousser à songer que c'était un coup monté encore plus immense et que ce minable avait fait appel à sa propre mère pour le coincer, mais ses quelques neurones lucides préféraient penser qu'il s'agissait d'autre chose. Probablement une question sur l'exposition... "L'est fade ta galerie photographique. Pourquoi faut scroller si loin pour avoir des photos d'gens ?" marmonna t-il sans réfléchir, réfléchissant surtout à côté à quelque chose de bien plus maléfique.
Il avait entre les mains le téléphone d'un ennemi, il ne lui semblait pas qu'ils étaient quittes du tout malgré le fait que la photo avait disparu, et il venait de recevoir un message de "Maman". Il y avait bien une manière qui pouvait faire qu'ils étaient quittes. Neven se sentait subitement confiant à l'idée d'usurper l'identité de Luam pour répondre à sa place, de multiples idées germant dans son esprit. Puisque tout ce cirque l'avait tant amusé, puisqu'il s'était tant évertué à mentir, puisqu'il lui avait fait perdre du temps, puisqu'il avait été responsable de tant d'angoisses, il avait bien le droit à une toute petite vengeance, non ? Et à son sens, trouver un moyen de changer son destin et le condamner à faire face à des choses loin de sa réalité semblait un plan maléfique suffisant. Alors, toujours avec cet air distrait, comme s'il regardait encore la galerie photographique du jeune homme, il s'était mis à promptement rédiger : "Je suis désolé maman, j'aurais dû t'en parler avant... Récemment, j'ai vécu quelque chose qui m'a bouleversé, et cette exposition a achevé de changer quelque chose en moi... J'aimerais utiliser mes prochaines vacances pour faire du bénévolat au sud de la ville. Je souhaiterais aider les gens là-bas, et je pense que cette expérience m'apporterait beaucoup. Maman, je suis désolé d'avoir mis autant de temps à t'en parler, mais je sais désormais où mon cœur se trouve. J'espère que tu supporteras mon projet, aussi abruptement annoncé soit il." Cela sonnait il assez pompeux ? C'était comme ça qu'il devait s'exprimer, non ? Ou alors, il l'appelait peut-être "mère" ? Il n'en savait strictement rien, et il n'allait évidemment pas lui demander. Monsieur Gentil avait été bouleversé, fait une expérience unique ayant changé sa vision du monde, et il allait venir faire du bénévolat, ça lui apprendrait. Peut-être que dans un quartier avec l'idée que Black Mamba pouvait être à toutes les fenêtres, il vivrait à son tour un brin dans la paranoïa... Et avec un peu de chances, il écouterait un peu les gens de là-bas, constaterait les politiques de répression et de censure, et changerait un peu sa manière de faire... Avec beaucoup d’optimisme. Et Neven n'était pas un optimiste, alors il espérait juste que la chose arrive et soit au moins désagréable. Appuyant sur le bouton "envoyer", il retourna à la galerie photographique, rendant ensuite son téléphone au Valkyrie. "Maintenant on est quittes." Il hocha la tête d'un air subitement satisfait, bras croisés, convaincu que c'était désormais terminé pour de bon, et qu'il pouvait donc désormais retourner à son travail terminer la soirée comme si de rien n'était. Plus de photographie, plus de problème, plus d'épée de Damoclès, tout le monde en sécurité... Il ne perdrait pas son job, ni ne finirait en prison ! Et il ne causerait pas de soucies à sa patronne !

Ce serveur ne mesurait pas la chance qu'il avait d'être tombé sur Luam plutôt que sur un autre Valkyrie. Il ignorait sa véritable identité, et cela devait rester ainsi s'il ne souhaitait pas avoir de véritables problèmes. Cette histoire de photo était dérisoire par rapport à ce qui pouvait l'attendre s'il se frottait aux Apocalypse, car iels étaient bien loin de l'image qu'iels montraient en public. Iels méprisaient les gens comme lui, les chassaient comme de vulgaires cloportes, faute de pouvoir les écraser. Luam était l’exception qui confirmait la règle, arborant même parfois le rôle de nuisible dans sa propre famille. Il ne partageait pas leur idéaux et était terrifié par leur soif insatiable de puissance. S’il avait décidé de gravir les échelons dans la société, ce n’était pas pour leur servir plus de pouvoir sur un plateau d’argent mais avant tout pour rétablir l’équilibre au sein de la population. Mais aussi, il nourrissait dans l’ombre l’espoir de stopper sa propre famille dans sa folie des grandeurs. Il savait qu’il jouait à un jeu dangereux, trop conscient de ce que pouvait faire des loups à une brebis galeuse néanmoins, il n’arrivait pas à se retirer cette idée de la tête. Refusant de rester passif, il se disait qu’il devait au moins tenter quelque chose. Tant pis s’il lui arrivait malheur, il aurait au moins essayé.

Alors ça lui faisait un peu mal de l’admettre mais son objectif signifiait aider tout le monde, même des petites frappes dans son genre. Au fond, ce bougre n’était pas si mauvais. Autrement, il l’aurait laissé aux mains des assassins lors de leur dernière rencontre et puis il s’était soucié de sa blessure, là ou d’autre n’en aurait rien eu à faire. Mais le voilà qu’il émettait des regrets juste parce que sa situation s’envenimait. Il s’enfonçait tout seul, Luam n’y pouvait rien toutefois il ne pouvait le laisser penser qu’il avait eu tort de lui venir en aide. Un léger sourire narquois s’accrocha aux coins de ses lèvres en pensant que ce dernier s’était énervé lorsqu’il lui avait suggéré l’idée de l’abandonner, prônant une certaine noblesse dans ses actes. Quel changement de cap ! Lui rappelant ces foutus principes, il se retrouva bien embêté en le voyant s’énerver davantage. Réalisant qu’il ne devait pas alimenter sa colère sous peine de vraiment s’en prendre une, il garda le silence jusqu’à ce qu’il sente une main lui tâter l’abdomen. Tout d’abord surpris, il écarquilla les yeux face à ce geste semblait-il désespéré. Il esquiva les autres tentatives tout en posant une question évidente, évidemment qu’il n’était pas en train de le tripoter pour son plaisir. Mais alors qu’il gesticulait avec vivacité, la lumière éclaira le couloir, lui rendant la vue. Son regard se posa successivement sur le serveur puis sur la personne qui les avait interrompu. Le visage de cette dernière lui était familière mais il n’eut pas le loisir de la détailler plus longtemps.

Un brin perturbé par l’absence de réaction de l’intrus, Luam reporta toute son attention sur le Sluagh. Ses traits se voulaient durs et noirs. Essayait-il de l’intimider avec cette bouille de hamster fâché ? Apparemment... Renouvelant ses attaques tactiles, Luam décida d’y couper court en sortant son portable. S’il se sentait plus serein après avoir effacé cette photo, alors qu’il le fasse. Mais ça ne réglait le problème qu’en surface, puisqu’il avait l’air d’oublier que le Valkyrie pouvait toujours le retrouver en ayant une entrevue avec sa patronne. « Si tu le dis... » souffla-t-il avant de l’observer plus attentivement. C’était qu’il ne l’aurait presque pas reconnu ainsi vêtu, mais bon, l’habit ne faisait pas le moine, puisque l’allure n’était pas en adéquation avec le tempérament. Néanmoins, l’air satisfait qui s’installait lentement sur ses traits eut l’effet de faire sourire Luam. Décidément, il ne savait pas sur quel pied danser avec cet énergumène, et il ne se gêna pas pour le lui faire remarquer. Ce à quoi il se vit offrir une réponse pas très pertinente.

Luam entendait bien ce genre de problèmes, mais son interlocuteur sautait quand même du coq à l’âne. Mettre la lumière sur ce qui se passait principalement au Sud n’était pas dans les plans du gouvernement. Les disparitions et maladies… Ce dernier s’en fichait pas mal, puisque ça ne les atteignait pas forcément, mais ce n’était pas le cas pour tout le monde. Luam savait que trop bien le mal que pouvait faire le fragmentum, puisque ça avait pris la vie de sa petite sœur. « Ce n’est pas la priorité pour le moment. Un problème dont on ne parle pas n’existe pas, c’est bien connu. Ils préfèrent étouffer l’affaire afin d’éviter le chaos. Malheureusement, tant qu'il n'y aura aucun changement au niveau de ceux qui dirigent, la situation n’évoluera pas. » Il n’était pas magicien et ne pouvait pas régler le problème d’un coup de baguette. « Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier et croire que ça ne préoccupe personne. Ce n’est pas aussi simple de faire bouger les choses, ou de l’ouvrir face aux loups sans risquer de se faire censurer aussi. » Et quand il parlait de se faire censurer, il voulait plutôt dire liquider. Les plus puissants n’aimaient pas trop qu’on leur mette des bâtons dans les roues ou qu’on vienne trop fouiner dans leurs affaires, donc il fallait agir avec ruse. Il n'avait aucun passe-droit, même en s'appelant Apocalypse.

En l’entendant se plaindre de la qualité de sa galerie photo, Luam émit un grognement de mécontentement. « Contente-toi juste d’effacer la photo. Ne me me fais pas regretter de te faire confiance. » Pourquoi avait-il scrollé aussi loin ? Les photos de sa sœur et lui ne le regardaient pas. De plus, il se sentait toujours un peu sensible lorsqu'une allusion à sa sœur était faite, et ce même après quatre années. « T’es empoté ou quoi ? Pourquoi tu mets autant de temps ? » demanda-t-il en se penchant vers lui pour regarder l’écran. Ce dernier était toujours sur la galerie, et la photo de la discorde avait bel et bien été effacée. « Merci » dit-il en récupérant son bien. Un léger doute s’insinua en lui en voyant l’air bien trop satisfait de l’autre. Plissant les yeux de façon suspicieuse, il regarda une dernière fois son écran, mais rien de particulier. Bordel, il arrivait à le rendre parano. Luam rangea l’appareil dans sa poche et sortit le fameux post-it, le relit avant de le glisser dans la pochette du costume du serveur, faisant dépasser le bout. « T’es quoi en fait ? Serveur ou garde du corps ? » S'il ne s'était pas montré curieux lors de leur dernière rencontre, la donne avait maintenant changé. Bien entendu, toujours à cheval sur ses principes de faire respecter l'ordre, Luam ne comptait pas en rester là. Mais avant d'attaquer à l'aveugle, il voulait rassembler quelques informations afin de savoir s'il était vraiment aussi mauvais qu'il voulait bien le montrer. Il avait des doutes là-dessus, et peut-être qu'il serait plus clément en fonction de ce qu'il trouverait. Le laissant gagner la partie pour cette fois-ci, il décolla son dos du mur. « T'as d'autres doléances avant que je parte?  » Non pas qu'il y répondrait de bon cœur, mais sait-on jamais. Se grattant ensuite la nuque, un peu embarrassé. « J'aimerais mieux qu'on ne raconte pas n'importe quoi sur moi… avec tes bêtises de tout à l’heure… bref » Il fallait écourter, surtout avec l'intrusion inopinée pendant la fouille qui devait fortement ressembler à autre chose d’un point de vue extérieur. Bien qu'il se fichait totalement d'être aperçu avec ce serveur, il ne voulait pas de rumeurs débiles à son encontre.

Alors que tout avait semblé perdu quelques minutes avant, voilà que Neven se retrouvait sous l'impression que finalement, il avait un semblant de capacité à intimider l'adversaire. Qu'est ce qui avait poussé la situation à changer ainsi ? Peut-être que surjouer les menaces marchaient moins bien que directement agir... Ou alors, était-ce une chance inopinée venue en la personne qui les avait surpris ? A bien y songer, c'était probablement inquiétant. Cette personne pouvait bien être allée signaler à la sécurité qu'il y avait un problème... Ou alors, il y avait quelque chose que le cerveau du Sluagh ne pouvait absolument pas prédire à se profiler dans l'ombre de cette courte interlude, ce qui était souvent un peu ce qui arrivait. Pour commencer, il était probablement trop inquiet à cause de cette histoire de photographie pour allumer son esprit et calculer les possibilités de scénarios fâcheux s'ajoutant à la position initiale. Tout ce qui l'obsédait, c'était de se débarrasser de cette menace qui lui parasitait l'esprit depuis bien trop longtemps.
Et une fois l'objet en main, il était visible sur son expression qu'il s'était déjà détendu. Il ne se sentait plus totalement pris au piège, et il n'avait plus tant de raisons que mordre ou être agressif s'il ne se sentait plus acculé. Prenant le temps de même zieuter la galerie du Valkyrie, ne pouvant s'empêcher de songer qu'elle était bien morne, n'écoutant qu'à moitié ce que pouvait raconter le garçon qu'il avait un peu plus tôt menacé. Il n'avait pas le temps de mal le prendre, il n'était même pas sûr de l’entièreté de son propos, et il ne s'attendait pas à pouvoir avoir une conversion. De toute manière, en terme de conversation, Neven n'était certainement pas quelqu'un que l'on pouvait décrire comme doué. Il y avait bien une raison pour laquelle on l'envoyait se bagarrer plutôt que faire de l'espionnage ou de la diplomatie... Il peinait à adapter son langage, il n'avait pour ainsi dire aucune envie d'agir différemment de comment ça lui venait sur l'instant, et il n'aimait pas cacher inutilement quoi que ce soit. Il s'était contenté de répondre un brin dans le vent, parlant probablement sur un ton un peu moins agressif que précédemment, comme par volonté de prouver qu'il n'en avait désormais plus rien à faire. Toutefois, il se retrouva un bien confus par la réponse de Luam. La première partie laissait songer qu'il était de leur côté, mais la seconde sonnait à ses oreilles bien plus ambiguë. Pourquoi faire semblant d'être démunie ? Il était riche ! Et puissant ! C'était un Valkyrie, bien sûr qu'il avait du pouvoir ! Pourquoi est-ce qu'il racontait tout ça ? Ça lui sonnait absurde, à lui pour qui être à sa place serait déjà peser tellement plus, et puisqu'il n'était pas capable d'argumenter (ou alors qu'il se sentait trop inférieur pour tenter d'émettre un avis constructif), il s'était contenté d'ignorer, détournant la conversation avec l'adresse d'un canard patineur artistique.
C'était qu'il faisait encore une fois démonstration de ses incroyables capacités sociales, apercevant une notification curieuse apparaître à l'écran et sautant sur l'occasion pour avoir une vengeance qu'il estimait amusante, parce qu'il n'était pas très bon pour calculer les conséquences possibles dans un monde normal. Pour lui, le message était standard, pompeux comme il fallait, ne soupçonnant guère comment il pourrait être lu par la mère de Luam, qui elle certainement n'y verrait pas du tout les mêmes choses. Pendant ce temps-là, il fit un commentaire sur la galerie photo du jeune homme, commentaire qui était sincère mais qu'il aurait dû garder pour lui s'il avait été plus malin, marmonnant : "Y'a rien d'intéressant à découvrir dans ta galerie photo, et j'comprends rien à tes photos d'papiers, c'trop compliqué..." Il y aurait eu d'autres personnes à pouvoir comprendre, mais il n'était pas de ces individus, et il avait plutôt la flemme de se forcer à décoder quand il pouvait à la place envoyer un message bidon à la mère de son nouvel ennemi. De toute façon, il était plus doué en mathématiques et en sciences qu'en lettres...
Son timing s'était trouvé juste, il avait juste eu le temps de fermer la page pour les SMS et de retourner à la galerie photographique le temps que le Valkyrie jette un œil à ce qu'il fabriquait, commençant à être bien agacé par le temps qu'il mettait. Rendant donc son portable au garçon, plutôt fier de sa bêtise qui jusque là était encore secrète, d'autant plus fier en voyant l'adversaire consulter son téléphone comme à la recherche de la magouille sans la trouver. Au pire, Luam aurait le droit à des questions gênantes seulement, au mieux, il serait envoyé un temps au sud pour travailler, et il ne pouvait pas cacher l'idée que voir un Valkyrie être mêlé à la populace l'amusait plus que ça ne devrait. Il ne fallait pas grand chose pour l'amuser, le dernier recruté en tant que bras armé de Black Mamba : il n'était pas bien difficile comme garçon.
Il se trouva toutefois un brin confus, reculant d'un pas après que son interlocuteur lui ait remis son post-it dans la poche, se retrouvant presque à être de nouveau sur ses gardes en l'entendait ensuite poser sa question. Qu'est ce qu'il était ? Il ne voyait pas qu'il pouvait faire les deux à la fois... Est-ce qu'il suspectait la petite mamie pimpante en talons aiguilles d'être une agent de Black Mamba commissionnée pour ramener à manger pour une ouverture d'exposition d'une Kaslana ? Quoi que, une personne capable de marcher avec ces chaussures-là ne pouvait probablement être que redoutable... Lui-même n'avait aucune idée de l'étendue de ses capacités... Ça se trouve, elle savait tirer au pistolet comme personne, et faire des prises sophistiquées qui prendraient même les meilleurs combattants de court... "Ça s'voit pas ? Chuis vraiment serveur. J'cumule juste des jobs, livreur, serveur, babysitter, réparateur de toitures, commis de courses pour les gens alités du coin, des trucs comme ça... Black Mamba paient pas, j'rembourse juste des dettes... C'pas exactement un job au sens standard du terme," laissa t-il tombé d'un ton détaché. Ce n'était probablement pas intéressant de la perspective de son interlocuteur, son job avait l'air prestigieux. Il n'avait toujours aucune idée d'en quoi ça consistait d'ailleurs, les photographies de documents cryptiques lui revenant en mémoire sans qu'il sache exactement à propos de quoi ça pouvait être. Il travaillait dans l'administration ? Probablement quelque chose comme ça... Enfin, Neven ne s'attendait pas à être respecté d'une quelconque manière, ce n'était pas des contrats très stables, et ce n'était pas non plus toujours son élément, il faisait juste ce qu'il fallait pour payer les factures, à manger, l'école pour les trois colocataires y étant encore, et quelques bonus pour ses protégé-e-s. "Et tu bosses... dans l'administration ? Enfin, un truc prestigieux avec pleins d'documents compliqués..." Et pourquoi sociabiliser avec ce type ? C'était un ennemi ! Il avait mentit ! Il l'avait torturé pendant des semaines ! C'était un vile voyou ! Il était intelligent et parlait très bien, et se permettait donc de manipuler les gens comme il le souhaitait, c'était certain !
Se sentant finalement soulagé de savoir que le Valkyrie s'apprêtait à partir, et donc qu'il pouvait aussi bientôt retourner à son travail, il haussa un sourcil quand il le questionna sur s'il avait des doléances. Des réclamations ?! A lui ?! A un ennemi ?! Il le considéra d'un air franchement confus, incapable de comprendre seulement pourquoi il demandait une telle chose, et encore moins quelles étaient les intentions derrière. Ses discours ne semblaient pas tenir, il avait l'esprit tout embrumé à l'écouter... Etait-ce là le pouvoir des gens prestigieux qui lisaient des documents intelligents ? Il se sentait presque humilié par ses mots, comme si son interlocuteur s'abaissait, lui signifiait qu'il était la créature inférieure qui avait à demander des choses, et qu'il se montrait plus magnanime qu'il ne devrait l'être. S'il se fichait d'être humilié, il n'en demeurait pas moins qu'il ressentait quelque chose de bien désagréable à l'idée d'être perçu comme si ridicule. Toutefois, il ravala l'amertume, lèvres pincées, tandis que le garçon de bonne famille apparaissait soudain un brin gêné. Il ne voulait pas qu'on raconte n'importe quoi sur lui ? Et ses bêtises, ses bêtises... S'il n'avait pas pris cette maudite photo, rien ne serait arrivé ! "Rien s'rait arrivé si t'avais pas pris d'photo d'merde, surtout avec un prétexte aussi con... Puis t'es entier, y pourront pas lancer d'rumeurs comme quoi tu t'es fait prendre une raclée gratuite... Toute façon, c'pas c'qui s'est passé." Il n'avait qu'à rejoindre la top-modèle qu'il accompagnait... Comment elle s'appelait déjà ? Il avait déjà oublié le nom. Est-ce que c'était quelqu'un proche de lui ? Il n'était même pas sûr qu'il était venu avec elle, il les avait juste aperçu-e-s l'un-e à côté de l'autre. Mais pourquoi lancerait on des ragots autour de ce garçon ? C'était vrai qu'il venait d'une famille de Valkyries, cependant, ça ne justifiait pas qu'il soit un sujet intéressant pour des potins, si ? Et puis, à considérer sa galerie photo, c'était un gars fade, il n'y avait aucun intérêt à inventer des rumeurs sur son dos. Qui ça intéresserait ? La league des gens morts d'ennuis ? Ah, peut-être sa collègue serveuse. Cette fouineuse se satisfaisait de tous les ragots possibles. Lui, même si ses standards étaient bas, il y avait que certaines choses ne l'intéressaient tout de même pas beaucoup.

Luam avait tendance à accorder sa confiance plutôt rapidement, trop peu habitué à anticiper quelque chose de mauvais. Il ne voulait pas vivre en voyant le mal partout ou en se disant qu'il ne pouvait compter sur personne. Bien sûr, il s'était déjà fait avoir, et il savait qu'il se ferait probablement encore avoir, mais tant pis, cela ne l'empêchait pas de recommencer. Certes, les trahisons faisaient mal, mais il fallait croire qu'il n'avait pas encore goûté à celle de trop, celle provenant de la personne en laquelle il avait placé le plus d'espérance. Le valkyrie n'avait pas ou plus ce genre de relation dans son entourage et estimait que la seule personne restante capable de le faire souffrir était sa mère. Cependant, il n'arrivait pas à concevoir cette perspective, et donc, il restait plutôt serein de ce côté là. Voilà pourquoi il n’avait montré aucune méfiance en confiant son portable au serveur, estimant que ce dernier serait plus rassuré s’il effaçait lui-même la photo. L’objectif était simple et rapide mais c’était sans compter sur sa curiosité et à l’entendre, il s’était perdu sur sa galerie. Celle-ci n’était pas intéressante ? Personne ne lui avait demander de fouiner et de donner son avis non plus mais s’il l’avait fait, c’était qu’il l’intriguait un minimum. Néanmoins, Luam se referma un peu lorsqu’il évoqua des photographies avec d’autres personnes. Les seules qu’il avait encore dans sa mémoire étaient celles avec sa petite sœur et ça restait un peu son jardin secret donc il appréciait moyennement qu’il se permette de fouiller dans ses souvenirs. « Personne ne t’a demandé d’y comprendre quelque chose. » rétorqua-t-il sèchement avant de le presser un peu. Un coup d’œil sur l’écran pour le faire activer et il lui rendit son bien. Face à l’attitude plus que satisfaite de l’autre, Luam eut un léger doute mais qui se dissipa rapidement. Il devait certainement être soulagé d’avoir enfin pu effacer l’objet de ses tourments, comme si ça effaçait le problème à la racine. Ridicule. Le valkyrie se savait naïf mais il se demandait s’il n’avait pas un adversaire de taille face à lui.

Le chapitre clos, Luam orna le costume du serveur de son post-it. Il n’attendait rien de cette rencontre énigmatique, et le résultat était qu’il n'en tirait rien de positif. Agressions et insultes, voilà ce qu’il avait récolté en se présentant au lieu indiqué. C'était bien loin de ce que sa mère avait pu imaginer. Une jeune fille timide ? Pff, loin du compte. Ses yeux détaillèrent de nouveau le serveur de la tête aux pieds. Décidément, des vêtements pouvaient changer une personne. En le voyant ainsi apprêté, Luam ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était plutôt élégant, mais qu'au fond, cela ne lui ressemblait pas vraiment. Il ne le connaissait pas, mais il se fiait au peu qu'il avait vu de lui et ce contraste le perturbait un peu. Qui était-il vraiment ? Le fils de bonne famille qu'il était avait des opinions plutôt limitées sur certains sujets, simplement parce qu'il était ignorant. Il s'était toujours imaginé que quelqu'un de malveillant ne trempait que dans des affaires louches. Mais visiblement, celui-ci menait une double vie. Il cumulait les jobs… Luam était impressionné d’apprendre que ce serveur pouvait endosser plusieurs casquettes. Il devait mener une vie éreintante, à toujours devoir s’adapter. « Intéressant... » déclara-t-il simplement, plus pour le côté homme à tout faire que pour les petites informations glanées sur Black Mamba. Il venait d'apprendre que les membres contractaient des dettes en faisant appel à cette organisation et qu'iels les remboursaient en accomplissant des missions. Il ne savait que faire de cette nouvelle pour l'instant, préférant se concentrer sur le bon côté de son interlocuteur, mais il retenait tout de même que celui-ci avait des dettes.

Son intérêt soudain sembla être contagieux, puisque le serveur lui posa une question en retour. Luam arqua un sourcil, un brin sceptique devant le terme utilisé pour définir son travail. Il n'y trouvait rien de prestigieux à bosser à l'Ambassade du Nouveau Monde. Il trouvait les métiers médicaux bien plus remarquables, ceux-là sauvaient des vies au moins. « Oui, dans l'administration, on peut dire ça. Je suis médiateur. » Il conseillait aussi parfois, essayait d'influencer certaines décisions, mais ça ne restait que secondaire. Il se contenta seulement de donner l'intitulé de son poste dans sa réponse, omettant délibérément de mentionner le lieu où il exerçait. Il y avait peu de chance que ça arrive, puisqu'ils n'étaient pas du tout en bons termes, mais il ne voulait pas le voir débarquer la bouche en cœur à son bureau.

Puis, estimant que son absence auprès de sa mère avait assez duré et qu'ils n'avaient rien d'autre à se dire, il décida de mettre fin à leur entrevue. Avant cela, il s'assura que l'autre n'avait pas d'autres demandes, histoire d'être certain de ne pas se retrouver une nouvelle fois dans ce genre de situation la prochaine fois. De plus, il ne pouvait s'expliquer pourquoi, mais il se sentait un peu désolé pour cette personne. Entrevoyant un quotidien difficile, qu'il n'avait pas forcément choisi, il s'était presque laissé attendrir malgré tous les mots désagréables qu'il lui avait envoyés au visage. Peut-être se trompait-il complètement à son sujet, néanmoins, tout en lui le rendait confus. Et ce n'était pas tout ! L'homme qui les avait interrompus tout à l'heure le rendait inexplicablement nerveux parce qu’il pensait avoir reconnu une connaissance. L’ambiguïté de leur geste à ce moment précis pouvait très vite faire naître des rumeurs stupides et si ce malheur arrivait, il craignait que cela n’arrive jusqu’aux oreilles de son père. Mais une fois de plus, du point de vue du serveur, c’était encore et toujours lui le responsable de tout ce bordel. Et il l’avait fait à cause… d’un prétexte aussi con ? Il ne l’avait pas cru ? « Une raclée gratuite ? Donc t’as bien conscience que ta pseudo agression était gratuite finalement ? Du coup, je dois te remercier d’être encore entier ou bien ? » C’était plus fort que lui, il avait bien du mal à garder son calme avec cet idiot. Ce dernier arrivait à le faire sortir de ses gonds, lui qui était si calme habituellement. « Non, ça ne s’est pas passé ainsi, mais je présume que tu l’as envisagé. » Du moins dans sa tête. « Enfin, peu importe. T’as eu ce que tu voulais et tu l’as dit aussi, nous sommes quittes. Tu devrais retourner aider ta collègue. Si des gens se plaignent du service, c’est ta patronne qui devra rendre des comptes et je ne veux pas apporter plus de problèmes par ma faute. » D’un signe de la main, il l’invita à retourner au rez-de-chaussée. « Après toi » dit-il avant de lui emboîter le pas. Il partait avec l'idée en tête de rencontrer la traiteuse ou du moins d’obtenir son contact, il était hors de question pour lui de partir totalement perdant dans cette histoire. Ce serveur aurait une surprise, bonne ou mauvaise, il ne le savait pas encore. Luam descendit les escaliers avec un sourire sur le visage.

Les choses se terminaient rarement bien, Neven le savait... Et dans ce cas, jusqu'aux dernières nouvelles, ça ne terminait jamais vraiment bien pour lui. Il finissait toujours des histoires, il y avait toujours un imprévu, une crasse, il finissait toujours avec des problèmes supplémentaires à la porte des autres problèmes. Qu'est ce qui prouvait que cette fois serait différente ? Rien. Mais il était soulagé sur le moment, satisfait de la vengeance dormant désormais dans les messages d'une inconnue, se disant qu'au moins, il n'avait pas été seul à payer. Ce n'était pas qu'il souhaitait du mal à quiconque, simplement qu'il trouvait satisfaction dans un mauvais tour digne d'un sale gosse un peu trop ambitieux dans ses bêtises. C'était amusant, c'était tout ! Même si ça finissait par juste être l'affaire d'une discussion confuse entre ce jeune homme et sa mère, c'était suffisant ! Même s'il ne serait pas contre apprendre qu'un fils de Valkyrie était venu au sud de la ville faire du bénévolat, ça rendrait service à du monde.
Un brin méfiant quand on lui rendit son post-it, accompagnant ensuite la chose d'une question, le Sluagh s'était d'abord fait des scénarios sur ses réelles intentions, avant d'en conclure qu'en répondant, il n'avait de toute façon rien d'intéressant à dévoiler. Répondant sur un ton détaché, s'imaginant que de toute manière, ça ne dirait rien de valeur. C'était des banalités, rien de prestigieux ou secret. Pourtant, voilà que le commentaire du Valkyrie su une nouvelle fois sonner comme un imprévu étrange, flottant dans l'air sans réponse. Il ne comprenait définitivement strictement rien à cette personne : qu'est ce qu'il y avait d'intéressant ? La parte concernant Black Mamba, probablement... Ne savait il pas pour le système de dettes ? On en disait pourtant, des choses à propos de cette organisation, mais si même ça ne se savait finalement pas...
Retournant la question à son interlocuteur, estimant qu'il n'était pas le seul à devoir répondre, et s'attendant à un métier prestigieux, il eu le déplaisir de le voir afficher un certain scepticisme. Ça aussi ça ne passait pas ? Il avait le droit de lui demander ce qu'il faisait, mais pas lui ? Se sentait il si supérieur que ça ? Mais il avait tout de même apporté une réponse, qui apparu aussi opaque que les fameux papiers mystérieux de sa galerie photographique. Médiateur ? Qu'est ce que c'était que ça encore ? Est-ce que ça existait ? Est-ce que c'était vraiment un métier sombre et prestigieux, ou le roulait il encore dans la farine pour se moquer de lui ? Cependant, s'il lui demandait ce que c'était, il se ferait assurément humilier... Et il avait eu son lot de désagréable pour la soirée, se contentant donc de laisser échapper un "hmm" pensif se voulant intelligent et analytique, alors qu'il n'avait strictement aucune idée de ce qu'on venait de lui raconter. Dans tous les cas, il travaillait avec des papiers incompréhensible à atterrir sur son bureau.
Dans tous les cas, le garçon affilié à Black Mamba se voyait bien soulagé à l'idée que l'entrevue se termine enfin, peu désireux d'à nouveau croiser cette personne, le soulagement laissant place à l'amer sentiment d'humiliation en l'entendant demander s'il avait des doléances. Pour qui se prenait il ?! Pourquoi envoyait il toujours des signaux si confus ? Parfois il sonnait presque comme quelqu'un de bienveillant, et après, le voilà qui était détestable, comme s'il jouait sur les mots, sur les termes, comme s'il lui retournait le cerveau à la moindre occasion. Il détestait ce type de personnes, il ne savait pas comment s'en défendre, et ses perceptions de Sluaghs étaient pour ainsi dire inutiles étant donné qu'il ne pouvait rien interpréter de manière un tant soit peu complexe. Pour des inconnu-e-s, il ne pouvait identifier que des émotions extrêmement positives ou assurément négatives, les analyses plus fines n'étant jamais possibles que pour des personnes familières. Son interlocuteur restait donc hermétique, indéchiffrable, renvoyant des choses différentes qui ne lui servaient à rien, et il se sentait d'autant plus fâché contre lui-même d'être si nul à être ce qu'il était sensé être.
Puis, face à son apparente gêne face à l'histoire de la personne les ayant momentanément interrompus un peu plus tôt, un brin piqué par les accusations de son interlocuteur. Ses bêtises... Il inversait les rôles ! Il prendrait ses responsabilités pour l'histoire du SMS, mais pas le reste ! Surtout avec le prétexte qu'il avait suggéré... Dans son esprit, c'était assurément un menteur, et répondant sous l'impulsion, incapable de choisir des mots plus diplomates,. Se voulant à la fois rassurant pour balayer des inquiétudes qu'il trouvait injustifiées, ne voyant pas du tout à quoi pensait Luam, mais aussi un brin agressif, incapable de passer l'éponge sur le moment. Et encore une fois, voilà que le Valkyrie s'emportait à son tour, Neven se contentant de bouder comme un gamin pas content, ignorant qu'il était peut-être le champion du moment pour extirper ce genre de réaction du gentil mouton noir Apocalypse. Sa pseudo agression... D'abord, il avait été très menaçant ! Ensuite, ce n'était pas gratuit ! "C'était une vraie agression menaçante d'abord, j'suis un vrai gangster, vire le pseudo, lança t-il, bras croisés, moue au visage, sourcils froncés, Et c'était pas gratuit. Cette photo, et ton témoignage... Surtout avec ton prétexte, c'était vraiment nul ! T'es un type louche !" Un type louche, ça, c'était certain. Il ne pouvait pas être assuré de ses intentions ou comment son cerveau fonctionnait, mais il était convaincu que c'était un adjectif suffisant. Parce que voilà aussi qu'il se plaignait qu'il se soit probablement imaginé lui régler son compte. Maintenant même l'imagination c'était criminel... Et là, il pouvait venir dans sa tête lui mettre les menaces s'il lui imaginait un costume rose à pois blanc et une queue en tirebouchon ?!
Même s'il était déterminé à bouder, il ne comptait bouder que jusqu'à rejoindre ses collègues. Il se trouva d'ailleurs un brin suspicieux en apprenant que Luam avait visiblement retenu qu'il n'y avait que deux personnes au service ; le surveillait-il vraiment depuis le début ? C'était une nouvelle confirmation de ce qu'il craignait : il l'avait probablement pris pour son attraction de la soirée. Mais considéré qu'il serait en partie en faute si un quelconque commentaire remontait à sa patronne... Qu'est ce qu'était ce type ? D'où sortait il, quelles étaient ses intentions, et comment son cerveau pouvait il marcher ? Il y en avait bien des créatures étranges en ce monde, mais celle-ci l'était un peu trop pour lui... Ainsi, invité à passer devant lui pour redescendre, il lui envoya un regard confus, secouant ensuite vivement la tête, se disant que montrer qu'il était troublé par son jeu d'acteur était laisser entrevoir une faille, se contentant de l'attitude la plus mature possible pour clore l'entrevue en lui tirant la langue au moment de passer devant lui. Puis, il fila à la vitesse de l'éclair dans les escaliers, cherchant du regard sa collègue.
Une fois en bas, apercevant sa collègue, traversé par un soulagement évident en la voyant arriver avec son plateau plein avec un air fâché pour le lui refiler tandis qu'elle s'exclamait : "Mais qu'est ce que tu fabriquais ?! T'étais malade ou quoi ?! Viens-là, prends, tiens, vas faire ton travail, j'dois aussi aller aux toilettes." Il n'avait même pas eu à inventer une excuse. Etait il resté à l'étage assez peu de temps pour qu'il soit envisageable qu'il ait juste été malade ? Ou alors, peut-être estimait elle qu'il avait dû flâner. Elle n'était pas étrangère à ses tendances à suivre tout ce qui attirait son attention, et il se sentait reconnaissant que cette mauvaise tendance lui facilite cette fois la vie.
Jetant un dernier regard en direction de Luam tandis que sa collègue serveuse s'élançait dans les escaliers, comme parcouru d'une désagréable impression prémonitoire, il retourna ensuite à son travail comme si jamais rien ne s'était passé plus tôt.

Luam n'était pas tant célèbre que ça, mais il cumulait plusieurs identités : enfant de la famille Apocalypse, fils d'un second pêcheur de l'Ordre et d'une ancienne star du luxe. Il était conscient qu'il pouvait se retrouver sous les feux des projecteurs malgré lui, une perspective qui ne l'enchantait guère. Surtout si une rumeur dénuée de sens venait à circuler. La personne avec qui il avait été vue n'était pas le problème, ni même son statut, mais plutôt la situation dans laquelle ils avaient été aperçus. Celle-ci risquait d'être mal interprétée et être source de problèmes pour lui. Cependant, optimiste, il se disait que l’homme qui avait fait irruption n’avait sans doute pas eu le temps de voir quoi que ce soit, et que même s'il l'avait vu, il ne l’avait pas reconnu et ne colporterait pas des ragots sans fondement. Afin que d'autres bêtises de ce genre ne se renouvellent pas, Luam devait faire en sorte d'abréger et de s’éloigner le plus possible du Sluagh. Mais ses propos froissèrent ce dernier et il gagna la position de responsable. C’était tellement facile de mettre ses erreurs sur le dos des autres… Très bien, s’il voulait le prendre comme ça, Luam n'allait pas polémiquer davantage. Enfin, c’était ce qu’il comptait faire avant d’entendre sa répartie. Agacé, il répondit tout aussi stupidement.

L’agression aurait été menaçante s’il avait vraiment eu une arme. Mais, plus les minutes s’écoulaient et plus il avait la conviction qu’il ne s’agissait finalement que d’un coup de bluff. De toute façon, il n’irait pas le vérifier en lui imposant une fouille au corps, peu habitué à ce genre de familiarité. Posant son regard sur le Sluagh, il put effectivement apercevoir un véritable gangster digne d’un cartoon. Luam pinça les lèvres, tiraillé entre deux émotions avant d’entendre la suite. Ce gars était vraiment en boucle et dramatisait vraiment la situation, ce n’était qu’une photo et Luam n’avait rien fait avec. À quel moment ça lui avait porté préjudice ? Aucun, puisque le valkyrie avait étouffé l’affaire de son côté alors que ce n’était pas dans ses habitudes de ne pas suivre les procédures. Il s’était montré clément, et il avait la désagréable sensation de se faire bouffer une fois de plus. Il savait qu’il devait apprendre à s’endurcir et se montrer plus ferme, mais son tempérament de Bisounours lui faisait défaut. Et malgré son attitude laxiste, il passait pour un type louche et nul aux yeux de cet ingrat. Parce que c’était clairement ce qu’était le serveur à ses yeux à ce moment-là. « Tout est relatif » se contenta-t-il d’ajouter en haussant les épaules, refoulant son amertume d’avoir été qualifié d’être quelqu’un de bizarre. Ce n’était pas la première fois qu’on le lui disait, après tout, donc ça ne devait plus l’atteindre, et certainement pas de la part d’un inconnu.

Estimant qu’il avait suffisamment perdu de temps avec lui et soucieux de ne pas lui causer plus de soucis, à lui ainsi qu’à sa collègue ou patronne, Luam décida de couper court à leur rendez-vous foireux. Parfois, il se fatiguait à être aussi altruiste là où il ne faudrait pas, mais il ne savait pas être égoïste. Puis, c’était qu’il avait une petite idée en tête en guise de vengeance. Rien de bien méchant, d’autant plus qu’il avait appris que ce jeune homme cumulait les jobs en tout genre pour s’en sortir financièrement. Donc il n’allait pas jouer avec ça, il n’était pas complètement idiot et cruel. L’invitant à partir le premier, le Valkyrie fronça les sourcils en le voyant secouer la tête. À quoi pensait-il encore ? Ce devait être un vrai capharnaüm là-dedans. Mais avant qu’il ne se pose plus de questions, le serveur lui tira la langue en passant devant lui. Inconsciemment, un sourire rieur naquit aux coins de ses lèvres avant qu'il ne se pince l'arête du nez en se rendant compte qu'il ne devait pas avoir ce genre de réaction. C’était ridicule, rien n’avait de sens dans cette rencontre.

Luam descendit à son tour et avant de rejoindre sa mère, il chercha la responsable de l’exposition du regard. Conscient d’être épié, il avait renoncé à aller vers les cuisines pour ne pas éveiller de soupçons. Ayant trouvé l’hôte de la soirée, il s’approcha et la félicita de nouveau sur les œuvres avant de dévier sur le service de traiteur. Il prétexta avoir apprécié, ce qui n’était pas faux, et vouloir faire appel à elleux lors d’un prochain évènement organisé par sa mère. Le Valkyrie obtint le contact de la traiteuse sans problème. Traiteuse qu’il appellerait le soir même ou le lendemain matin afin de la féliciter et encenser son serveur, lui accordant un généreux pourboire pour le travail accompli. Peut-être que ça le ferait cogiter -ou pas-. À défaut de le punir en lui retirant son salaire, il avait préféré le troubler d’une autre façon, plus pernicieuse. Lorsqu’on énervait quelqu’un, on s’attendait à recevoir un coup de bâton et non à une caresse. Satisfait, il retourna auprès de sa mère qui lui annonça vouloir rentrer. Sans chercher à comprendre, il accepta et ils quittèrent le vernissage.