20h08. Pourquoi ai-je accepté de faire des heures supplémentaires déjà ? Ah oui, pour la simple et bonne raison que j’ai besoin d’argent. C’est assez déroutant de devoir passer sa journée enfermé dans un lieu à réparer des machines ou accueillir des clients bougons, juste pour pouvoir gagner sa vie. Gagner sa vie… drôle de formulation. Comme si on se trouvait au beau milieu d’un jeu, c’est ridicule, mais j’y pense parfois et je me dis que je ne suis pas tombé sur le meilleur joueur de l’univers. À contrario, je trouve ça triste de la perdre en futilité du genre. Alors, entendons-nous bien, j’adore mon travail, mais j’estime avoir mieux à faire que de devoir courir après le Saint Graal qu’est l’argent dans ce monde. Ne pouvons-nous pas vivre d’amour et d’eau fraîche ? C’est après cette parenthèse presque philosophique que mon ventre se met à gargouiller de manière honteusement ostensible, me rappelant que l’eau fraîche, c’est bien, mais que c’est toujours mieux accompagné d’une farandole de petits gâteaux.

Mon collègue arrive enfin pour prendre la relève et sans me donner la peine de le saluer, j’enfile ma veste et déguerpis à la vitesse de l’éclair. C’est que j’ai une deuxième vie qui commence une fois la nuit tombée, moi. Et non, je ne suis pas strip-teaseur ou autre noble métier qui incombe d’être noctambule, mais c’est le moment imparti à mon alter-ego. Cependant, mon ventre se manifeste de nouveau et je vois l’enseigne du bar face à moi onduler d’une étrange manière. Je ne peux pas quitter les murs de cette ville dans un état si lamentable. Alors je ne réfléchis pas plus et franchis les portes du bar, me convaincant qu’il y a toujours des cacahuètes traînant dans un bol sur le comptoir. Arrivé devant le dit-comptoir, je louche sur le bol vide et mon esprit me tanne d’aller ailleurs, mais mon cul décide de prendre place sur l’un des tabourets. Installé, je me commande un remontant, ça ne pourra pas me faire de mal. Ça ne me fera pas du bien non plus, vous me direz, mais j’en ai besoin, du moins, j’en ai l’impression.

Je ne sais pas ce que je fous là, à ingurgiter un liquide qui ne me nourrit pas et ne calme pas la bête qui gronde au fin fond de mon estomac. À cette allure, je risque d’être bon à rien et de ne pas ramener grand-chose à manger. Je sais bien que si je m’affaiblis, mon alter-ego en pâtit et vice versa. J’ai toujours ma solution de facilité, mais pour ça je dois traverser la ville, et je ne suis même pas sûr qu’à cette heure-ci, Dàshén soit encore à son atelier. Je soupire, repousse mon verre vide avant de me vautrer littéralement sur le comptoir. J’estime mal l’atterrissage de mon crâne sur le bois et mes voisins peuvent entendre un son creux suivi d’une plainte.

Je ferme les yeux quand j’entends quelques notes de musique envahir l’espace. Cet air me parle, je me redresse et cherche le responsable des yeux. Je le vois, presque calfeutré dans un recoin sombre de la scène. Je ne comprends pas pourquoi ce type tend à vouloir se planquer, ou cherche à ne pas se faire reconnaître, c’est paradoxal, autant ne pas monter sur scène. Toutefois, il a le mérite d’être sympa. Je me recouche et apprécie la fin de cette balade auditive. Quelques minutes plus tard, j’entends le tabouret racler le sol à mes côtés. J’en déduis, peut-être à tort, que c’est Neven qui prend place, alors je laisse ma main cheminer jusqu’au bol, que j’attrape et secoue comme un mendiant. Je viens exprès pour les cacahuètes… Je râle avant de corriger ma posture pour m’accouder et poser un regard sur le musicien. Tu ne veux toujours pas entrer dans la lumière ? T’as du talent, tu sais. Je hèle ensuite le barman et commande le même breuvage que tout à l’heure. Tu veux un truc à boire, j’offre ma tournée.

Neven se complaisait parfois dans de rares moments coupables à rêver de réalités différentes. La solitude et les espaces libres dans des journées habituellement bien plus chargées poussaient à laisser l'espace à la réflexion, et il n'était pas difficile pour son esprit de se perdre. La vie aurait été plus facile s'il était né ailleurs, s'il avait été quelqu'un d'autre, s'il n'avait pas eu à fuir, tout reconstruire de ses mains, se retrouver endetté auprès d'une organisation souvent fragmentée dans ses opinions, à se souvenir qu'il était une personne, et pas un outil ou un personnage de dessin-animé qui agissait sans avoir de véritables sentiments. Et puis, il devait s'en convaincre : il était quelqu'un d'autre, ses souvenirs étaient faux. Ils ne pouvaient qu'être faux. Et les conséquences aussi l'étaient. Parfois, il s'imaginait que la vie était plus simple, qu'il pouvait vivre une vie plus ou moins confortable, une vie sans activités illégales, et exister sans s'en sentir coupable... Et puis, les songes devenaient honteux, un égarement qu'il préférait ne pas regarder de peur d'y comprendre quoi que ce soit, ou de ne plus pouvoir jouer un rôle qu'il devait jouer.
La culpabilité finissait toujours par l'atteindre, tandis qu'il se rendait au bar, l'air froid de l'hiver mordant sa peau rougie après une trop longue marche. C'était peut-être aussi pour se punir, qu'il préférait marcher par de telles températures plutôt que prendre les transports en commun, parce qu'il savait qu'il faisait des choses stupides. Il aurait dû revenir à l'appartement, préparer à manger pour tout le monde, vérifier son portable en quête d'une quelconque tâche à accomplir, peut-être pour une fois dormir à un endroit où il était sensé habiter après avoir accordé de son temps à des personnes à qui il tenait... Mais ce n'était pas une si bonne idée non plus, non ? Il se sentait coupable que les choses soient encore aussi précaires, de pas avoir les mots justes pour tout le monde, et de ne pouvoir faire usage de pouvoirs qu'il était sensé posséder pour lire les cœurs d'autrui et se rendre un peu plus utile sur ce plan aussi. Il aurait aimé gagner plus d'argent pour payer pour un appartement plus grand, avec une meilleure isolation thermique, acheter plus souvent quelque chose à manger qui ferait plaisir à Amicia, ne pas savoir que parfois, l'on doutait de sa fiabilité à subvenir aux besoins de la colocation... Il n'était pas si bon à être un outil, à bien y songer.
Et au lieu de s'améliorer, il allait jouer de la musique de temps en temps, une activité qui ne paierait pas le loyer, et qu'il ne pouvait de toute façon pas exercer sérieusement.
Il aurait voulu être musicien, mais il n'était qu'homme de main, se terrant dans des coins sombres pour jouer quelques notes, renouant avec divers instruments en fonction des humeurs, ramenant les courtes joies libératrices saisit des temps sombres d'un temps révolu qu'il aimerait être celui d'un autre. A quoi bon jouer si c'était pour tout de même se cacher ? Ca ne faisait pas sens, c'était vrai.
Ses doigts glacés enfin réchauffés passé assez de temps en intérieur à gratter des cordes, son regard avait accroché la silhouette épuisée et familière d'un Foxien qu'il avait appris à connaître. Ce n'était pas qu'il était proche, mais il était simple, et il lui semblait trouver en lui la possibilité de mieux le comprendre, de mieux le lire, sans qu'un quelconque pouvoir ne soit nécessaire. Et puis, même s'il avait pu être un Sluagh un minimum capable, un endroit bondé comme un bar n'était jamais qu'un concert d'odeurs confuses venant de partout qui pouvaient bien à terme faire tourner la tête. Mais le fait était qu'il n'était socialement pas vraiment doué, qu'il peinait à saisir son monde, et que Léandro faisait partie des cas qui lui offraient la possibilité de se sentir un peu moins coupé du reste du vivant.
Posant son instrument, il s'approcha du comptoir où était affalé le Foxien, piqué de curiosité en voyant que cette fois, il n'était définitivement pas venu avec son carnet. C'était la chose qui avait fait que Neven s'était approché en premier lieu : il avait aperçu un jeune homme seul en train de dessiner. Personne ne dessinait dans ce genre d'endroit, et l'absence de personnes autour rendait d'autant plus curieuse la scène. Venait il faire du dessin d'étude dans ce genre d'endroits ? Évidemment, le Sluagh était un fouineur, et il avait dû venir voir, et bombarder de questions enthousiastes l'inconnu. Et puis, à force, c'était un peu devenu un ami, un pote, quelqu'un qu'il savait ne pas être hostile au moins.
Et puis, grâce à lui, il avait une distraction au lieu d'arrêter de jouer et de passer directement à la case auto-flagellation le temps de rentrer, et de noyer sa culpabilité sous une couche de déni à base de "non, mais toute façon, ça n'impactera jamais le travail, et puis, je referai pas ça de toute façon", avant de recommencer quelques semaines après. Parler à quelqu'un, en faire le sujet, jouer un personnage, ne pas être assez pour trop réfléchir, c'était plus amusant.
Il haussa un sourcil, curieux, en voyant Léandro secouer un bol vide, toujours complètement écroulé sur le comptoir alors qu'il prenait place près de lui. Neven se trouva dans un premier lieu confus face au geste, puis, le Foxien clarifia la chose en évoquant les cacahuètes, cruellement absentes de leur place de choix. Il n'était pas tard, comment cela se faisait il qu'il n'y ait déjà plus rien ? "Ils ont déjà plus d'cacahuètes ? Ça part vite c'machins..." Peut-être parce que c'était gratuit. Mais après tout, il était dit qu'il était plus sage de manger tout en buvant de l'alcool... Même s'il ne savait pas trop comment des cacahuètes pouvaient éponger l'alcool. Et pourquoi des cacahuètes ? Mystère.
Léandro se redressant pour enfin lui faire face, peut-être que le regard du musicien c'était un brin assombri l'espace d'une seconde face à son commentaire. Ah, ça lui apprendrait, c'était un retour de bâton, probablement... S'il avait pu, il l'aurait fait, vraiment faire de la musique son travail. Mais il se contenta d'un vague "Merci, mais c'est plus... un hobby coupable. Puis c'pas en jouant d'la musique qu'on gagne sa vie," haussant les épaules d'un air nonchalant. Les personnes qui en vivaient avaient de la chance, des proches pour les soutenir économiquement derrière, ou venaient de certains milieux, il ne se faisait pas d'illusions. "Mais c'est vrai qu'ça s'rait cool de vivre d'ce genre de trucs !" Mais c'était plus un rêve qu'autre chose. Ce n'était pas sa voie à lui, dans tous les cas. Tant qu'il n'avait pas remboursé ses dettes, tant que les choses étaient ainsi...
Léandro avait l'air un peu fatigué... Ou alors déjà plutôt alcoolisé ? Difficile à savoir, il ne l'avait pas vu entré en si grandes formes, et ses sens étaient bien trop perturbé pour toujours distinguer ce qu'il en était. Combien de verres avait il déjà bu ? Il ne saurait pas le dire juste en observant. "T'ruines pas pour moi, t'es déjà pas à ton premier verre, ça coûte pas deux pièces..." Il ne voulait pas vraiment qu'on lui paye quoi que ce soit, que le geste soit bienveillant ou pas. Et puis, il n'était pas certain de vouloir avouer tout haut qu'il ne buvait pas d'alcool, en partie parce qu'il ne le tenait pas, et en partie parce que c'était pleinement incompatible avec son traitement. Alors, guettant le retour du serveur avec la boisson de Léandro, il attrapa la manche du pauvre employé dès qu'il fut assez proche avec un air qui se voulait sérieux, demandant tout bas : "Z'avez pas du lait au fraise ? S'vous plaît ? Puis hum... Faut r'mettre des cacahuètes..." Se voyant recevoir une expression confuse, suivie d'un "je reviens", il s'était rassit correctement sur son tabouret, reportant son attention vers Léandro. "T'as l'air crevé mec... Dure journée ? C'était la merde au taff ?" Il savait quel métier il faisait, mais il s'imaginait mal comment ça se passait là-bas. A vrai dire, il n'avait jamais été dans des arcades que pour accompagner d'autres personnes, résistant à l'envie de toucher à tous les boutons clignotants en vue. Et puis, les gens puaient souvent là-dedans, et pas à cause de leurs émotions à son humble avis. Il était un brin difficile avec des histoires d'odeurs...

Certain gagnent bien leur vie en jouant de la musique, d'autres arrivent même à amasser des millions en ne publiant que des conneries sur Instacram. Le tout, c'était de savoir tirer son épingle du jeu, mais lui comme moi n'avaient ce talent. Si j'avais pu vivre de mes dessins, je l'aurais fait sans hésiter, mais l'art reste vraiment un milieu aléatoire où seule la chance semble pouvoir te faire sortir de la merde ou non. Cependant, j'ai parfois du mal à comprendre la façon de fonctionner de Neven parce qu'il a beau dire que ce serait bien d'en vivre, il n'a jamais tenté de percer plus que ça à ma connaissance. Il doit sans doute avoir ses raisons, mais ça reste bien trop obscur pour moi.

Reprenant un nouveau verre, j'en profite pour en offrir un à mon ami, mais celui-ci refuse. Il me rappelle même que ce n'est pas gratuit et que la note finale risque d'être salée. Il n'a pas tort, et je ne peux même pas envisager de partir en courant en laissant l'addition derrière. Les propriétaires sauront où venir me chercher puisque nous sommes presque voisins. Mais je ne peux m'empêcher de demander, Tu cours vite ? en me penchant légèrement vers lui, une main devant la bouche.

Le barman ne tarde pas à revenir et place nos verres respectifs devant nous. Le verre de Neven attire mon œil, et son contenu, bien trop sage, me fait sourire. Il a vraiment des allures de petit garçon par moments, et ça a tendance à me rappeler mon frère cadet. J'avale une gorgée, puis soupire face à sa question. "Crevé" était bien le mot, puisque je me sentais fatigué H24 en ce moment, et ce n'était pas forcément à cause du boulot, quand bien même ça y contribuait grandement. Non, mon état lamentable était causé par mon train de vie. Le jour, je travaillais pour payer les factures, et la nuit, je chassais pour espérer nourrir toute ma tribu. Ça laissait peu de place aux loisirs ou à des moments de détente où la sacro-sainte sieste était la bienvenue. J'ai fait des heures supp, si ça peut répondre à ta question, dis-je en piochant quelques cacahuètes fraîchement versées dans le bol. C'est juste que ce n'est jamais suffisant pour pallier toutes les dépenses de la famille. Je n'ai jamais réellement parlé à Neven de mes soucis, c'est un sujet que j'aborde peu, pour ne pas dire jamais. Je n'aime pas trop que les gens compatissent ou se sentent désolés pour moi. Je ne cherche pas à me faire plaindre et même si j'ai une définition claire de l'amitié, pour moi, il est préférable de s'en tenir aux côtés positifs sans jamais aborder les négatifs au risque de devenir un fardeau pour l'autre.

Cependant, l'alcool semble vouloir me pousser à la confidence. Lançant une nouvelle cacahuète en l'air, je la rattrape en vol avec ma bouche. Une réussite qui me fait applaudir brièvement, puis je retrouve un semblant de sérieux Tu vois, je ne suis jamais allé à l'université et je me dis que si j'avais fait des études, je m'en sortirais peut-être mieux à l'heure actuelle. Mais d'un autre côté, je n'aurais pas pu aider ma famille comme j'ai pu le faire. J'ai dû faire des choix et j'ai l'impression d'avoir fait les bons mais… J'avale une nouvelle gorgée avant de recentrer mon attention sur Neven. Mais on n'est pas là pour se plaindre, tout le monde à des problèmes. Même toi je suppose.

Même s'il s'entendait bien avec Léandro, il était malvenu de lui étaler la raison de certains de ses choix. Que pourrait il en penser ? Il avait beau savoir que l'autre jeune homme semblait aussi avoir des problèmes d'argent, en venir à rentrer en contact avec une organisation aussi discutée que Black Mamba restait tout de même souvent un peu extrême... Mais face au désespoir, tout le monde avait il le choix ? Il ne l'avait pas eu, et Amicia non plus. Et c'était mieux que ne pas survivre tout court. C'était même admirable d'encore s'en sortir de manière légal à des jobs souvent précaires dans l'état actuel des choses, et c'était un fait qui ne pouvait que pousser Neven à respecter Léandro. La vie était certainement d'autant plus dur pour les Foxiens, qui avaient besoin d'apport nutritionnels supérieurs à la moyenne pour survivre.
Refusant qu'on lui paie une quelconque boisson, soulevant le prix de celles-ci, même s'il était aussi quelque part qu'il ne se sentait pas si à l'aise à l'idée d'avouer qu'il n'appréciait pas l'alcool non plus. Et puis, il n'appréciait pas l'idée que quelqu'un paie pour lui, même si c'était pour des petites choses triviales. Ainsi, attendant que le barman revienne avec la boisson de son ami, il l'avait attrapé pour lui faire sa demande à son tour, non sans oublier de demander si le bol de cacahuètes pouvait à nouveau être remplis. Puis, alors qu'ils se retrouvaient à nouveau tous les deux au bar, il entendit Léandro demander s'il courrait vite. Pour s'enfuir sans payer ? Il jeta un regard au barman non loin : non, c'était probablement que pour la plaisanterie, il se ferait vite retrouver s'il faisait ça. Mais il décida de répondre tout de même, sur un ton joueur "J'cours super vite. Faudra qu'on fasse une course un jour pour voir c'qui l'plus rapide... Enfin, sans que tu t'transformes." Il avait beau avoir confiance en ses capacités sur ce plan-là, il savait que ce n'était techniquement pas possible d'être aussi rapide qu'un loup. Il n'y avait pas trop de questions quant à pourquoi il était absurde dans une course-poursuite que de miser sur la possibilité de semer un-e Foxien-ne.
Léandro avait l'air bien fatigué, et Neven n'était toujours pas certain s'il s'agissait de l'alcool ou de la fatigue, voir des deux. Toujours était il qu'il n'était pas dans son état normal. Il était plus habitué à le trouver à griffonner, pas affalé sur un comptoir de bar à enchaîner les verres. Mauvaise journée ? Mauvaise période ? Il se contenta de poser la question, un air simili-détaché tandis qu'il sirotait son jus de fruit cachant pourtant une inquiétude sincère. Et évidemment, c'était le travail. Des heures supplémentaires... Combien ? Probablement trop. Et ces choses n'étaient jamais si bien payées que ça, pour ce que c'était et ce que ça pesait sur les personnes les réalisant. Et il eut un vague pincement au cœur quand le Foxien évoqua sa famille et l'impossibilité de répondre à leurs besoins. Il ne parlait habituellement pas de ces choses, la dureté des choses n'était jamais que sous-entendue, comme les gens des milieux plus précaires se contentaient typiquement de laisser la chose traîner en sous-texte avec une certaine pudeur.
C'était probablement l'alcool qui le faisait subitement parler, mais son ami s'était pour la première fois arrêté sur le sujet plus qu'il ne l'avait jamais fait auparavant. Même si ses gestes quelques part pourrait témoigner d'une certaine légèreté, les mots étaient teintés de regrets. Il n'était jamais allé à l'université pour subvenir aux besoins de sa famille... Et c'était inévitable, la bourse octroyée pour faire des études ne suffisait souvent même pas pour une personne, alors soutenir le reste de la famille... Ce n'était pas juste, parce que personne ne devrait avoir à choisir entre faire des études et aider sa famille. Il avait cumuler l'université et le travail pour subvenir aux besoins d'Amicia, mais il avait eu la chance de ne jamais avoir qu'elle dont il devait s'occuper... Avoir toute une famille derrière... "Tout l'monde a des problèmes, mais ça reste pas juste... T'aurais voulu étudier quoi, si t'avais pu ? Y'avait des trucs qui t'auraient intéressé là-bas ?" Neven était tellement curieux, il aurait voulu en apprendre sur des milliers de choses. Mais avant tout, n'était-ce pas fascinant de pouvoir approcher des plus grands chercheurs de l'ère actuelle juste en allant étudier là-bas ? Pour l'apprentissage de l'usage de la magie, les enseignants n'étaient par exemple jamais que parmi les plus habiles maîtres dans leur domaine.
S'asseyant en tailleur sur le tabouret, probablement rattrapé par son allergie au fait de s'asseoir correctement, il était resté pensif. Est-ce que faire des études lui aurait permis d'avoir un travail mieux payé ? Même ça n'était jamais une garantie. Plusieurs personnes des quartiers sud, survivant dans des logements insalubres, avaient pourtant plus d'années d'étude que la moyenne des quartiers favorisés... Mais dans certains métiers, les contacts passaient toujours avant de quelconques diplômes et qualifications. "J'dirais qu'avoir des pouvoirs peut aussi aider à avoir d'meilleurs jobs... Certaines magies sont prisées dans des milieux pros où c'est utile. Mais faut avoir d'la magie..!" Et cette chose n'apparaissait jamais que par pur hasard, sauf pour les Valkyries. La plupart des personnes ne se voyaient jamais devenir hôtes d'un quelconque élément, et il n'y avait rien qui pouvait assurer l'apparence de capacités surnaturelles de ce type. Et même si magie il y avait... Certains éléments étaient professionnellement un brin inutiles.
Prenant une gorgée de boisson, essuyant la moustache laissée derrière d'un revers de la main, il déclara sur un ton détaché : "Puis, y'a des moyens de tricher." Il haussa ensuite les épaules, buvant un nouveau un peu de son lait au fraise, laissant les implications derrière le silence nébuleux. Tout le monde trichait un peu... Certaines tricheries étaient juste légales pouvant qu'on ait le talent et les contacts nécessaires pour ne pas se faire attraper.

Tout était cher. La vie coûtait cher. Même se détendre autour d’un verre dans un bar miteux devenait une activité de riche. Mais je m'en fiche, je ne vais pas m'interdire des petits plaisirs sous prétexte que je n'ai pas les moyens. Tant pis, je bosserai deux ou trois fois plus s'il le faut. Ça ne me fait pas peur et ça a au moins l'avantage de combler mes journées, ce qui laisse peu de place aux moments de réflexion. Je n'aime pas trop cogiter parce que je sais qu'à un moment ou un autre, ça va dériver vers des solutions de facilité, loin de la légalité. Mais si je m'adonne à ce genre de chose et que je me fais prendre, le résultat sera pire que mieux. Donc je me contente d’en plaisanter, suggérant tacitement un départ précipité sans passer par la caisse. Neven entre dans le jeu et m’informe qu’il court vite. Hm, c’est intéressant et me donne envie de vérifier ça. Vendu dis-je en claquant des doigts. Interdiction de te défiler et faut mettre quelque chose en jeu. Et oui, j’ai toujours besoin d’avoir une carotte pour avancer, même face à un ami. Les conneries du genre -pour la beauté de la compétition-, tout ça, c’est du vent pour moi. En plus je suis plutôt confiant sur mes capacités et même pas besoin de vérifier l’état de mes chevilles, parce que je suis tout à fait humble là. Tu sais qu'il existe des courses clandestines de foxiens ? J'ai déjà gagné un peu d'argent en remportant l'une d'entre elles, mais ça reste dégradant, car on parie sur toi en prenant en compte tout un tas de caractéristiques, comme on le ferait pour une course de canassons. Ça amuse les riches. Un peu pathétique mais parfois on y trouve son compte à jouer aux bouffons du roi.

Je soupire, un tantinet blasé, avant de continuer sur ma lancée. L'alcool me fait parler, enfin le verbe "plaindre" est le plus approprié ici. Je ne veux pas embêter Neven avec tout ça, mais c’est plus fort que moi, sans doute emballé par l'oreille attentive qu'il me prête. J'en sais rien.  Je ne me suis jamais vraiment posé la question, bien trop conscient qu'il n'en serait rien. Peut-être dans l'électronique, la robotique. C'est un peu ce que je fais quand je répare les bornes des arcades, mais j'aurais aimé quelque chose à plus grande échelle. Et toi, c’était quoi tes rêves de gosse ? Je reprends une gorgée de ma boisson avant d'éponger en gobant quelques cacahuètes. Hochant vigoureusement de la tête pour approuver ses propos sur la magie. Contrôler l'électricité devait vraiment aider dans beaucoup de domaines. De mon point de vue, c'était le plus bénéfique puisque cela rimait avec « plus de facture ». Le feu arrivait en deuxième position pour une question de chauffage en hiver. Puis, il y avait ceux dont l'utilité était discutable, comme l'imaginaire ou le quantum. À dire vrai, c'est parce que je n'ai aucune idée de ce qu'ils sont capables de faire. Toutefois est-ce que je m'y intéresse vraiment ? Non. C’est quoi le top 3 des éléments pour toi ?

Il m'arrive de regretter mon choix de ne pas être allé à l'université magique parfois. J'ai été trop catégorique à l'époque, trop têtu et incapable de me poser deux secondes pour bien réfléchir. Mon pouvoir ne me semblait pas suffisamment utile pour perdre quelques mois de ma vie là-bas, et pourtant, avec du recul, je me rends compte que cela aurait pu aider à nourrir ma famille. Est-ce que j'aurais pu devenir cultivateur avec? Aucune idée, puisque ma magie est scellée. Je ne sais même pas de quoi elle est véritablement capable, à part me faire souffrir. T’as des pouvoirs, toi ? Moi ils sont quelques part là-dedans mais je n’peux rien en faire avoué-je en me tapant sur le thorax. J’arque un sourcil et me redresse sur ma chaise. Tricher ? Je pense savoir ce qu’il entend par là mais je répète ce mot d’un air théâtrale pour l’inviter à continuer.

Il semblait que qu'importe la volonté de chacun de ne pas se perdre dans des activités et dépenses accessoires, il était inévitable de se voir appelé-e-s par le besoin de faire des choses moins sages. Dépenser pour assez d'alcool pour oublier la fatigue des journées trop longues et la faim des corps torturés par l'effort et le manque d'apport énergétique, ou prendre le risque de mettre à mal son identité en cédant à ses passions n'étaient pas les actions les plus avisées... Mais finalement, était-ce si évitable ? Vivre ne se faisait pas sans écarts dans les plans, les mortels ne pouvaient pleinement se prétendre machines... Neven pourtant se disait qu'il avait autrefois effleuré cet idéal de conduite, celui où il avait été efficace, possédé seulement par le besoin de survivre, refusant de voir l'évidence dans ses instants de la recherche inéluctable d'un échappatoire. C'était plus aisé de se dire que c'était possible pour ensuite se blâmer d'être faillible, chacun faisait des choses discutables à des échelles différentes.
Posé près de son ami, refusant qu'on lui paie quoi que ce soit, déjà bien embarrassé par l'offre, puis ayant une brève pensée pour le compte en banque pas bien garni du Foxien, il joua le jeu à sa proposition. Beaucoup des plus rapides personnes peuplant ce monde était de ces créatures, et il ne pouvait qu'être curieux à l'idée d'un jour se mesurer à quelqu'un comme ça. Il n'avait raisonnablement aucune chance si Léandro était sous sa forme animale, mais sous forme humanoïde... C'était qu'il avait besoin de rivaux tout de même, des rivaux qui n'avaient rien à voir avec une quelconque organisation criminelle, et n'avaient pas un job à Black Mamba. Un rival de course en la personne de Léandro, ça sonnait doux, amusant, comme un vrai jeu qui ne se teinterait pas de notes sombres. Ce ne serait jamais qu'une course entre amis, et il n'y était pas un quelconque bras armé d'une organisation enracinée au sud de la ville. "Mettre quelque chose en jeu ? Ah.... L'perdant paie un fast-food ? Ou un restaurant de nouilles, ça cale grave, y'a pleins d'coins cools pas trop chers où en bouffer." Ce ne serait pas une plaie mortelle infligée à leurs économies, mais c'était tout de même une bonne raison de ne pas perdre, non ? Il n'était pas certain de gagner, mais pas non plus convaincu d'être condamné à perdre. S'il perdait, il n'aurait qu'à s'entraîner et demander une revanche !
Mais l'anecdote de Léandro piqua d'autant plus son intérêt. Il avait participé et gagné une de ces fameuses courses de Foxiens ?! Regard brillant, admiratif, il considéra ses mots et leur portée, en concluant que décidément, son ami était une personne vraiment cool. Oui, certainement, il y avait un aspect dégradant à être traité comme un animal, un cheval de course à forme humaine... Mais l'argent qu'on pouvait gagner derrière... "Tu dois être super rapide alors ! Cool !" Il devrait envisager sa défaite d'entrée de jeu, mais à bien y songer, il y trouvait au contraire des éclats de motivation supplémentaire. Se mesurer à quelqu'un comme ça, ça serait d'autant plus tester ses propres capacités et se motiver à gagner en vitesse. Après tout, il gagnait rarement des affrontements en misant sur la force pure, ses principaux atouts demeuraient son agilité, sa vitesse et ses paris sur une part d'imprévisible... Se motiver à être plus rapide en perdant face à Léandro ne pourrait que le pousser à devenir plus fort !
Mais contrairement à d'autres soirées, souvent passées à plaisanter et parler de choses inconséquentes comme si le monde finalement n'était fait que de choses légères, le Foxien cette fois semblait s'être trouvé d'humeur à en dire plus que d'habitude. C'était l'alcool qui probablement déliait les langues, mais les éclats moroses entre ses mots sonnaient comme une confession amère qui ne serait pas venue dans d'autres contextes. Choisir entre sa famille et ses études... C'était bien trop cruel. Certaines personnes n'avaient pas à se poser la question du tout. Comment se faisait il que le monde pouvait être si moderne, se vanter de tant d'innovations, mais ne jamais poser les bases structurelles de son prestige que sur les souffrances, la précarisation et l'exploitation des autres ? Tout de même, il se demandait ce que Léandro aurait pu vouloir étudier, s'il en avait eu la possibilité, et il avait osé poser la question, compatissant mais curieux quant à ce qu'il aurait envisagé si on lui avait donné un vrai choix. Et la réponse certainement peignait un tableau bien plus beau que la réalité actuelle. Des études en électronique et en robotique... Ces domaines offraient de bons jobs, et il aurait pu viser plus haut que son job actuel... "Ca doit être grave passionnant, c'est vrai. Et ça aurait pu t'ouvrir pleins d'portes..." Et lui, quels auraient été ses rêves ? Il préférait ne pas se le demander. Il le savait, mais il préférait ne pas l'admettre. Actuellement, il voulait juste servir, être une arme, un bouclier, permettre à d'autres de s'offrir une vie normale loin des magouilles ou la précarité... A quoi bon vouloir autre chose ? Pourquoi aurait il le droit d'autre chose ? Petit il aurait voulu être astronaute, et aller voir un lapin imaginaire sur la lune, quelques part loin du cratère laissé par l'Honkai, vivre là-bas, et regarder leur planète d'en haut. Et s'il avait pu, il serait probablement musicien. Pas plus riche qu'il l'était, il s'imaginait bien, mais il aurait été quelqu'un d'autre. "Gamin j'voulais être astronaute. J'aimais bien... enfin... L'histoire du lapin sur la lune... J'voulais aller l'voir..," marmonna t-il, embarrassé, sentant ses joues légèrement chauffer juste à cause de cette simple confession. C'était encore vrai, il affectionnait cette histoire sans oser avouer ce que ça représentait réellement, comment il admirait un animal imaginaire vivant sur la lune, sa dévotion, l'idée de ne peut-être pas avoir un monde entier autour de soit, mais quelques rares personnes auprès de qui existerait un éternel refuge. "Mais j'avais pas les résultats scolaires pour suivre c'genre d'formation !" ajouta t-il sur un ton joyeux, sirotant son précieux lait aux fraises en changeant encore de position sur son tabouret. A bien y penser, un gars comme lui suivant des études aussi prestigieuses, il aurait été viré plus vite qu'il ne l'avait été dans un cursus artistique.
Puis, il évoqua l'intérêt des pouvoirs pour trouver du travail faute d'avoir des diplômes ou des contacts, tout en reconnaissant malheureusement le parfait hasard qui faisait d'un mortel un hôte adéquat ou non à la magie. Il n'y avait qu'une espèce à assurément profiter dans quasi tous les cas d'un tel avantage, et les autres... Ce n'était jamais que du hasard. La magie avait semble t-il sa propre volonté, et même les scientifiques ne l'expliquaient guère. Mais des pouvoirs, ça restait utile, et face à la question de Léandro, il répondit sans trop d'hésitation : "Une affinité avec l'électricité peut permettre d'chopper pleins d'jobs où il y a contact avec d'la technologie... C'est à dire quasi tout d'nos jours... Le feu peut servir l'hiver quand t'as pas d'chauffage. J'trouve qu'les plantes c'est utile aussi, surtout si tu bosses dans la nature." Il était après tout qu'une affinité avec la magie végétale donnait inévitablement la main verte, et aidait au rendement dans les champs. Et puis, tout le monde aimait les fleurs, non ? Enfin, sauf les personnes allergiques au pollen.
Et pour les personnes avec des pouvoirs bloqués, il y avait bien des moyens de tricher ! Sauf qu'en évoquant le sujet après que Léandro ait dévoilé ce qui sommeillait en lui, il avait été évident que le Foxien se questionne sur ses mots. Il aurait peut-être dû se taire. Si sa magie était scellée en lui... Il devrait avoir le droit d'en user. C'était à lui. C'était la magie qui l'avait choisit, et nul n'avait le droit de s'opposer à cela. Et s'il pouvait trouver un moyen de gagner plus d'argent grâce à ça ? Il avait lui-même fait lever le sceau sur ses pouvoirs... "J'ai aussi d'la magie. C'est pas les gens d'Schicksal à l'uni' qui ont levé l'sceau," avança t-il, assez bas pour que seul son ami l'entende. On ne savait jamais quelles oreilles indiscrètes pouvaient traîner autour... Et puis, il n'allait pas crier sur tous les toits qu'il usait illégalement de ses pouvoirs et s'était fait inscrire par magouilles sur le registre officiel. "Y'a d'autres moyens qu'tu récupères tes pouvoirs. Il y a... Quelqu'un de Schicksal... Cette personne lève des sceaux en secret et peut t'inscrire dans les r'gistres officiels." Et tant que cette personne n'était pas derrière les barreaux, autant en profiter, non ? Il y avait toutefois un détail majeur qui ne pouvait être ignoré, et Neven ne pouvait jouer la carte de la malhonnêteté et le lui cacher, alors il glissa ensuite : "Elle bosse pour Black Mamba. J'peux t'aider... à les trouver..." Les gens des quartiers sud savaient bien trouver l'organisation quand il fallait en général, mais en tant que membre, il lui était évidemment plus aisé d'accéder à la possibilité de faire des demandes diverses. Il avait déjà emmené plusieurs personnes les trouver, et pris quelques dettes en leur nom pour les personnes refusant de tremper dans de l'illégal.

J’aime jouer. Je vois la vie comme un jeu, une vaste partie en mode difficile où tu n’as qu’un cœur pour arriver jusqu’au niveau final. Ce n’est pas facile tous les jours, mais il faut s’accrocher car chaque niveau est différent et apporte son lot de surprises. Si j’avais abandonné dès les premières difficultés, je n’aurais jamais pu rencontrer des personnes formidables ni passer des moments mémorables. Je ne regrette rien pour l’instant, mais parfois je ressens le besoin de mettre sur pause pour souffler un peu. Ce soir fait office de temps mort dans ma partie personnelle. J’ai besoin d’évacuer et prendre du recul, on peut voir ça comme une sorte d’élan pour mieux sauter. L’alcool comme deuxième compagnon de soirée, j’ajoute à mon agenda mental une course contre Neven. Je suis confiant et je salive déjà à l’idée qu’il m’offre des nouilles ou un burger pour célébrer ma victoire. Ça marche, tu peux déjà réserver une table. Je souris avant d’évoquer une anecdote sur des courses clandestines. Loin de moi l’idée de me vanter ou de lui faire peur, c’est juste que contre toute attente, ça me rappelle de bons souvenirs. Même si cela peut paraître humiliant parce que des riches ont parié sur moi comme on parierait sur un lévrier, ça n’en reste pas moins un pari. Ces riches croyaient en moi et en mes capacités, puis grâce à eux, j’ai pu me faire un peu de fric. Ce n’était pas énorme, mais ça suffisait à remplir des estomacs pendant quelques jours.

La conversation prend un ton plus sérieux et je m’épanche sur des "si". Si j’avais pris le chemin de l’université… et si ma magie n’avait pas été scellée… et si… c’est bien beau d’imaginer ce genre de chose, mais c’est un peu trop tard maintenant. J’aurais dû me poser ces questions des années auparavant, quand la maturité ne m’avait pas encore rencontré. Toutefois, ça ne fait rien d’en discuter, à part peut-être un petit pincement au cœur en réalisant que mes choix de gamin n’étaient peut être pas les bons. Si moi, j’aurais aimé bosser dans l’électronique, Neven, lui, aurait aimé devenir astronaute. Qui n’a pas souhaité ça un jour ? J’ai l’impression que c’est le rêve de beaucoup d’enfant sauf que là où ça diffère réside dans la cause de ce choix de carrière. Il voulait voir le lapin de la lune ? J’ai beau avoir des frères et sœurs, leur avoir lu pas mal de bouquin quand ils étaient petits mais je n’ai jamais entendu parler de cette histoire. J’arque un sourcil interrogateur et le regarde rougir. Quoi ? Qu’est ce que c’est que cette histoire pour qu’il paraisse si embarrassé ? Quel lapin ? Je l’interroge en suivant le bord de mon verre avec mon doigt.

Le fil de la conversation reprend son cours pour suivre une suite logique. Nous sommes presque d’accord sur le trio gagnant en matière de magie. J’aurais peut-être choisi l’eau pour la troisième place, mais à bien y réfléchir, elle arrive ex æquo avec celle des plantes, c’est-à-dire la mienne. Celle à laquelle j’ai bêtement renoncé, faute d’avoir eu le loisir d’y réfléchir plus posément et sérieusement. Alors que je pensais avoir fait le deuil de cette magie, Neven m’ouvre une porte en me parlant de tricher. J’ai vaguement entendu des histoires sur des personnes pouvant lever le sceau, mais jamais rien de bien sérieux, ce qui fait que cela est toujours resté des légendes dans mon esprit. Mais il semble que la légende est en fait une réalité selon Neven. Je me rapproche un peu de lui, conscient que notre conversation vire sur quelque chose de peu légal. J’imagine que ce n’est pas gratuit. Personne de sensé ne s’adonnerait à ce genre de pratique sans rien demander en retour. Les risques sont trop énormes, il ne faut pas se leurrer. Et la sentence tombe : Black Mamba. Évidemment… dis-je, guère étonné, juste un peu dépité. J’avale les dernières gorgées de mon verre d’une traite. L’évidence met du temps à me sauter aux yeux, mais lorsque c’est fait, je fais un bond sur ma chaise. Tu travailles pour eux ? Oh, ceci explique cela. Cette information apporte son lot de réponses à mes premières interrogations.  Je ne suis pas sûr de vouloir tremper là-dedans… gémis-je, tiraillé par une fausse éthique. Je ne peux pas refuser sans savoir, donc avant d’être catégorique, je dois me renseigner sur les éventuelles conséquences d’un tel rapprochement. Quelles sont leurs conditions ? Est-ce qu’on est assuré de ne pas se faire dénoncer pour fraude si cette personne se fait prendre ? Et pourquoi personne ne se poserait des questions sur l’apparition d’un nouveau nom sur les registres tant d’années après ?

Le monde était curieux, pleins de mystères, et il était clair pour Neven qu'il avait encore beaucoup à découvrir. Il n'avait jamais entendu parler de ces histoires de courses de Foxiens organisés par des personnes fortunées... C'était en effet un moyen comme un autre de se faire de l'argent, il n'avait pas de jugements à émettre sur la valeur de quiconque pour avoir participé à ce genre d'évènement, il était même plutôt admiratif d'apprendre que Léandro avait réussi à gagner une course. Il devait être vraiment rapide... Il était vrai que même sous forme humanoïde, il avait tout de même l'air d'être un minimum en forme... Mais il se représentait mal encore à quel point il pouvait aller vite. Etait-ce raisonnable d'avoir parier à manger avec lui sur une histoire de course ? Ah, tant pis, ça restait amusant, et ça ne serait pas non plus une attaque mortelle à son budget.
La soirée était particulière, il y avait quelque chose de différent, et l'alcool arrachait des mots à son ami Foxien qu'il ne se serait pas douté entendre. Leur relation avait tellement consisté à parler de choses de surfaces, surtout pas de problèmes en profondeurs, de doutes, ou de regrets, il se trouvait un peu surpris de l'entendre s'exprimer sur une possible vie qui n'était pas. Il était vrai que la vie était faîtes de choix, de choses auxquelles renoncer, et de son lot de frustrations et d'injustices... Il en apprenait sur l'autre garçon, mais ce n'était guère des informations réjouissantes. Personne ne devrait avoir à choisir entre sa famille et faire des études pour poursuivre un rêve. Ce n'était même pas comme si Léandro avait eu un but si ambitieux, ce n'était pas un souhait capricieux, et voilà pourtant que c'était quelque chose qu'il avait dû sacrifier pour prendre soin des siens. Ses rêves à lui avaient aussi été sacrifiés pour diverses raisons, même s'il faisait de son mieux pour se convaincre que tenir un rôle comme actuellement lui allait. C'était un peu embarrassant, toutefois, d'évoquer cette histoire de lapin de la lune. Beaucoup d'enfants voulaient devenir astronautes, mais plus rarement pour voir un personnage de conte pas si populaire. A la question de Léandro, il comprit bien qu'il ne voyait même pas de quoi qu'il parlait, et il tâcha d'expliquer, toujours un brin gêné : "Ah, juste un lapin magique qui vivrait sur la lune pour tenir compagnie à une princesse et lui préparer ses médicaments. Il fait aussi des gâteaux..." Il avait même eu une peluche à son effigie, détruite peu après l'avoir reçu, avant d'en trouver une similaire en ville une fois adulte. C'était toutefois un élément secret, l'objet était soigneusement caché dans une boîte à chaussures elle-même bien dissimulée.
La discussion avait ensuite repris sur du plus sérieux, notant l'avantage d'avoir des pouvoirs magiques pour obtenir un travail, énonçant les éléments qui semblaient les plus utiles. Pour le Sluagh, il n'y avait pas tant que ça d'éléments magiques qui lui semblaient parfaitement avantageux : quand dans un travail serait il utile de maîtriser la glace par exemple ? Pour ce qui était de l'élément imaginaire ou du quantum, ceux-ci avaient le désavantage d'avoir strictement aucune interaction particulière avec le reste, et d'être particulièrement explosifs au contact de l'autre, ce qui finalement n'avançait strictement à rien pour trouver du travail... Enfin, si, c'était utile pour un travail demandait de se battre. Mais il n'était pas du genre à user de sa magie s'il y avait un risque d'avoir quelqu'un en face avec un élément aussi strictement incompatible.
Les mots avaient toutefois dérivés pour de confessions passer à secrets dangereux. Baissant le ton, Neven n'avait pas pu garder pour lui l'existence d'une possibilité d'avoir sa magie libérée sans passer par l'université. Pourquoi Léandro devrait il avoir cela scellé en lui toute sa vie ? Le sceau n'était pas agréable à porter, il confinait une énergie en soit, c'était étouffant, et ça devait déjà faire bien trop longtemps pour que ça ne le fasse pas parfois souffrir... Et tout cela était injuste puisqu'il ne pouvait pas aller à l'université sans sacrifier quelque chose. Qui sacrifierait sa famille ? Si le fait qu'il n'apportait plus d'argent les plongeait dans la précarité, ça ne valait pas le coup, c'était absurde. Il comprenait qu'apprendre à user de magie pour ne pas causer d'accident était nécessaire, mais l'organisation des choses était telle qu'il semblait que finalement, certaines personnes finissaient encore inutilement sacrifiées. Neven ne pouvait pas le laisser ignorer qu'il y avait des alternatives, même si celles-ci avaient leurs propres problèmes... Et Léandro certainement se doutait qu'aucune solution pour récupérer sa magie n'était gratuite. L'affiliation de Black Mamba à cette magouille n'avait guère semblé étonner le Foxien, qui avait marqué une longue pause avant de subitement sursauter, lui demander s'il faisait partie de l'organisation. La chose lui arracha un bref sourire amusé, haussant les épaules avant de répondre : "Un peu... D'puis bientôt six ans." Il n'avait pas pu trouver un toit et de faux papiers pour Amicia et lui tout seul. Et il avait beau passé un accord avec une organisation dotée d'une horrible réputation, il lui semblait que ce n'était pas non plus ne serait-ce que proche d'une expérience aussi désagréable que de grandir dans une secte.
Il comprenait que quelqu'un ne veuille pas se risquer à approcher un tel groupe. Qui irait se mettre sur leurs traces sans y penser deux fois ? Lui-même avait hésité à accepter de l'aide... Et s'il n'avait pas eu une pré-adolescente à la charge, il n'aurait probablement pas cédé aussi vite. Mais au fond, il ne pensait pas avoir pris une mauvaise décision, la situation aurait été bien plus difficile sans leur aide. Il n'en voulait pas à Léandro de se méfier, c'était même mieux d'être prudent, et il demeurait reconnaissant de converser avec quelqu'un qui probablement verrait les raisons de terminer là où il était. Les personnes qui étaient en bas de l'échelle voyaient souvent en Black Mamba une entité bien moins menaçante que les autres, ce n'était pour les plus précaires rarement l'organisation qui les menaçait en premiers. "Y demandent un remboursement de dettes en échange. Bosser pour eux ou payer direct. Ils peuvent demander de tremper dans de petits délits, mais si quelqu'un peut s'occuper de ta dette pour toi ça marche aussi. Et pas d'soucies avec les registres, ton nom est ajouté à la date de la distribution des diplômes officiels des personnes formées cette année, t'auras l'même tampon qu'tout l'monde. Puis t'sais, vu qu'tout l'monde termine pas sa formation ou développe pas des pouvoirs au même moment..." Il haussa des épaules sans terminer sa phrase. Certaines personnes voyaient la magie apparaître en elleux au début de l'âge adulte, et très rarement, il existait des cas d'individus obtenant des pouvoirs après leur retraite. L'âge d'une personne à la date de son enregistrement dans les registres n'était pas facteur de doutes. Il suffisait juste de truquer assez de papiers ensuite... Et pour quelqu'un de Schicksal avec ce poste, ce n'était guère compliqué.
A bien y réfléchir, il était aussi sur les registres depuis plusieurs années, et jusque là, il ne s'était pas fait pincer. Rares étaient les personnes s'attirant des ennuis, et pour quelqu'un de Léandro qui tendait à être discret et ne pas tremper dans les problèmes... Il se disait qu'il n'y avait que peu de risques. "Si tu t'tiens tranquille, qu'tu passes pas ta vie à des postes de police pour des petits délits, y'a pas d'raisons que quelqu'un lance une enquête approfondie à ton égard pour vérifier si quelqu'un t'as vu aller à l'université même si t'as des papiers affirmant qu't'y était..." Et puis, l'accent était plus porté sur les actes du moment qu'une potentielle enquête sur des pouvoirs... Il fallait déjà en plus que quelqu'un l'ait vu les utiliser. Même lui, en tant qu'habitué du grabuge, n'utilisait pas tant que ça la magie. Et il ne comptait pas en utiliser tout le temps dans sa vie quotidienne, non ? "C'quoi ta magie ? Ca t'servirait au taff ? Si ça t'servirait pas vraiment, y'a encore moins d'risques." Et même s'il était un technicien doué d'un don de maîtrise de l'électricité, personne n'irait signaler comme louche un élément si utile ! Ce serait absurde ! Il rapporterait de l'argent et permettrait des économies avec l’efficacité gagnée automatiquement grâce à ça ! Bon, ça aurait été plus avantageux s'il avait été humain, pour bénéficier en plus du don de technomagie... Mais c'était tout de même chouette.

Le lapin de la lune. Quelle curieuse histoire, je n'en ai jamais entendu parler, et puis avec les informations qu'il me donne à ce sujet, je peine à en saisir la morale. À part peut-être retenir qu’une fois encore, il s’agit de servir ou de sortir une princesse de l’ennui, ramenant la petite créature à l’état de domestique. Mais Neven a l'air d'apprécier ce conte, ou alors il s'identifie au lapin serviable, je ne sais pas trop. On peut trouver un livre là-dessus à la bibliothèque ?  Faudra que je demande à ma fratrie si elle connaît, même si elle n’a plus vraiment l’âge de se nourrir d’histoires avant d’aller se coucher, ça ne m’empêche pas d’être curieux de la découvrir.
La conversation bascule ensuite sur un sujet un peu plus sérieux, voire plus sombre. Les pouvoirs restent aussi pour moi quelque chose de mystérieux. Pourquoi les développons-nous ? Sur quoi ça se base vraiment ? Je sais bien que des scientifiques se sont penchés sur le sujet à maintes reprises, mais leurs travaux sont vagues. J’ai l’impression qu’ils n’apportent pas de réponses concrètes. Pourquoi moi et pas un autre ? Qu’est-ce qui fait que j’ai ça en moi alors que ma petite sœur en est dépourvue, par exemple ? Elle m’en a d’ailleurs voulu, me jalousant inutilement sur un élément dont on ne sait rien. Mes regrets viennent de là aussi, des reproches que l’on me fait parfois sur mes choix d’ado. Je sais bien qu’au fond elle ne pense pas à mal, mais son ingratitude me laisse parfois perplexe. J’aime mettre ça sur le compte de la crise d’adolescence, celle que je n’ai pas eu le loisir d’avoir. Je soupire à cette pensée lorsque Neven me fait comprendre qu'il y a peut-être une solution. Évidemment, les noms de Black Mamba et Schicksal sortent, et je n'en suis guère étonné. Dès qu'il est question de magouiller, ces organisations sont en première ligne. Je saute sur ma chaise en digérant l'information de l'affiliation de Neven à l'une d'entre elles, et ce, depuis six longues années. Je m'exclame, ça fait long juste pour une histoire de levée de sceau. Ah ouais, c’est presque un CDI que t’as. Pourquoi autant d’années ? T’arrives pas à t’en débarrasser ?  Peut-être que j’étais chaud au début, mais cette durée me refroidit un peu. Je n’aime pas devoir des choses à quelqu’un, donc si en plus ça traîne en longueur, je vais me sentir mal. J’aime les choses vite fait bien fait. Bah généralement t’as pas d’argent, autrement tu ne ferais pas appel à eux. Donc j’imagine que beaucoup remboursent en nature.  Et je ne parle pas de truc pas très catholique quand je dis ça, entendons-nous bien, j’imagine qu’ils ont besoin de main d’œuvre pour leur propagande ou leur rébellion. Ça fait sens mais c’est aussi risqué. Humm… est-ce que ça vaut vraiment le coup ?  Dis-je les yeux dans le vague en me tâtant le menton.  C’est un peu contradictoire, j’ajoute, parce qu’il faut se tenir tranquille pour ne pas se faire prendre tout en accomplissant des missions suicides pour le compte de Black Mamba. Tu t’es jamais fait prendre dans ce qu’ils te demandent ? Ça s’est toujours déroulé comme sur des roulettes, jamais un seul accroc ? En six ans, il avait dû en vivre des choses. Non, ça ne servirait pas à grand-chose dans mon taff avoué-je en rigolant parce que ma magie est aux antipodes de mon travail aux arcanes. À part si le patron décide de mettre un peu de verdure dans la salle, je ne vois pas trop comment l’utiliser là-bas. J’ai la main verte, mon truc c’est les plantes apparemment. J’trouvais pas ça très utile gamin parce que face à d’autres éléments, c’est plutôt faible. Je ne voyais que la puissance au lieu d’y voir l’aspect pratique. Et toi ? On ne peut pas penser à tout malheureusement et puis, j’avais également d’autre préoccupation. Martelant le bois du comptoir de mes doigts, je me dandine un peu sur ma chaise. Bon admettons que j’accepte, comment ça se passe ? Qui voir ? On signe quelque chose ? J’imagine que ça reste discret mais s’il y a un problème, ils ne viennent pas s’en prendre à ta famille ?

CW : évocation d'un meurtre

Il regrettait un peu de s'être un peu livré sur des choses plus personnelles. Il n'était pas particulièrement fier de ses aspirations d'enfant, il se sentait même un peu honteux, parce que ces informations n'allaient pas dans le sens de l'image qu'il souhaitait donner. Certes, Léandro avait aussi partagé ses vieux rêves innocents d'une époque révolue, mais il se trouvait à songer qu'il n'était finalement pas si à l'aise à l'idée de faire de même, quand bien même ça avait sonné correct sur le moment. Il était vrai que fut un temps, son idéal avait bien été une vie simple et paisible, sur la lune loin de ce qu'il avait connu où personne ne leur ferait du mal, mais ces choses lui paraissaient désormais absurdes. Et puis, cette histoire de lapin... Mais le conte était il si peu connu ? Ou était-ce qu'il n'était populaire que dans des coins obscurs du monde loin de Sainte-Fontaine ? "Y doit y avoir le livre à une bibliothèque quelque part, oui. J'pensais qu'c'était plus connu." Ça existait là où il avait grandit dans tous les cas, mais là où il avait grandit ce n'était pas ici, c'était loin, à un endroit qu'il ne pouvait pas pointer sur la carte. C'était quelque part, à un embranchement des Dédales, loin. On ne pouvait y arriver qu'après au moins deux ou trois mois de marche... Le reste, il ne savait plus. C'était juste un vestige du monde encore habitable, perdu trop loin du centre de la vie de la planète, une prison un brin coupée du reste où tout et n'importe quoi avait pu s'implanter comme de la mauvaise herbe sûre d'elle étouffant les fleurs et les fruits.
La discussion était bientôt devenue plus sérieuse, parlant de choses qui pouvaient être et de magies scellées, sans que Neven ne puisse avoir le cœur de cacher les solutions à cela. Léandro était son ami, c'était un garçon qui avait des personnes à protéger, qui peinait à joindre les deux bouts malgré ses efforts, et qui devait, il l'apprenait désormais, supporter un sceau magique douloureux qui l'empêchait de vivre avec une magie qui était pourtant sienne. Si un élément s'était glissé en lui pour vivre en symbiose avec son organisme, c'était que les choses devaient être ainsi, et il ne comprenait pas qu'on l'empêche de vivre cette vie : il avait été choisit, et ça aurait dû être suffisant. Mais révéler qu'il était membre de Black Mamba devait sonner un peu surprenant... ou menaçant. Enfin, le Foxien n'offrait pas non plus une réaction si hostile, peut-être parce qu'au fond, il y avait plus inquiétant que cette organisation ici. Mais 6 ans avec cette organisation... Un CDI ? Ah, il commençait en effet à être un employé fidèle. "Y m'donnent des missions s'lon mes capacités, ça va. Puis, j'suis un peu d'accord avec plusieurs d'leurs idées..." Pour commencer, il pensait que tout le monde devrait avoir le droit de vivre décemment, et que ce monde ne pourrait subsister tel qu'il était actuellement.
Mais Léandro semblait jusque là ne jamais avoir vraiment trempé dans de l'illégal. Il avait réussi à s'en sortir et tenir les siens à flot sans passer par ce type de solutions, et l'idée de passer le pas devait être déplaisante. Il était normal de douter de si ça valait le coup tant que le reste marchait plus ou moins encore... C'était tout de même prendre un risque. Et il était donc vrai que remplir des missions était risqué quand il était préférable de ne pas se faire attraper. Certaines actions étaient plus tranquilles, mais certainement pas toutes...
Sirotant son lait aux fraises, jetant parfois quelques regards au monde s'agitant de l'autre côté du comptoir, il se contenta d'écouter ce que disait le Foxien. Sa magie ne servirait pas grand chose au travail... C'était souvent ce qui arrivait, certaines magies n'étaient pas si utiles, et d'autres ne s'utilisaient que dans des cadres précis. Mais en entendant la nature des pouvoirs de son ami, il resta un brin admiratif. Les plantes... C'était évidemment une des magies les plus utiles, mais pas nécessairement pour le travail en dehors d'un job au contact de la nature. Et s'il la débloquait, il pourrait bien apprendre à l'utiliser caché, il n'en aurait aucun usage où il était à cet instant. "C'est grave cool comme magie !" s'écria t-il, enthousiaste, le fait de parler fort attirant quelques regards curieux. Remarquant qu'il s'était un peu emporté, il s'était légèrement raclé la gorge, essayant de contrôler son enthousiasme, pour continuer plus bas : "Ca veut dire tu peux faire pousser c'que tu veux ! T'habites à Mondstadt, non ? Vous avez un jardin ? T'pourrais avoir un potager ! Et planter des arbres fruitiers ! Et des fraises ! Sur l'long terme ça coûterait moins cher pour vous nourrir, surtout si ton pouvoir empêche les plantes d'crever !" Il n'était cependant pas certain de la viabilité de fruits et légumes ayant poussé plus vite que la moyenne. L'apport nutritif devait être moindre, non ? Mais au moins, aucune plante ne mourrait de ses mains s'il avait une affinité avec ! Et il pourrait faire de jolis bouquets de fleurs pour ses parents ! C'était aussi à ses yeux une des plus belles magies, le genre de magie qui plaisait aux yeux innocents, et qui avait un bon effet sur les vies en général. "Ma magie c'est l'quantum... Ça sert pas à grand chose. Puis ça fait rien pousser." Il aurait aimé pouvoir faire pousser des plantes. Ou geler des trucs. Ou utiliser du feu pour cuir des conserves à la belle étoile sans avoir à l'allumer manuellement. Avec l'électricité, il aurait également peut-être pu améliorer les conditions de vie de plusieurs personnes. Et puis, à l'université, il avait été tellement occupé à canaliser les éruptions explosives de sa magie qu'il n'avait pas pu plus que ça prêter attention à celle de ses camarades... Ensuite, l'apprentissage auprès de son mentor ne lui avait pas permis d'en voir tant. Et la magie des plantes, il ne l'avait jamais plus que ça observée être utilisée dans sa vie.
Le temps n'était toutefois pas (encore) aux réjouissances, et même s'il mourrait d'envie de voir Léandro un jour utiliser de sa magie pour observer comment les plantes réagissaient à son contact, le fait était qu'il fallait passer par des méthodes illégales s'il ne pouvait se rendre à l'université. Et les questions traversant les lèvres du garçon technicien étaient aussi complètes que légitimes. Rien n'était facile, évidemment, mais il fallait savoir exactement où on allait, et tout ce qui pesait sur la balance. "C'est disons difficile de décrire comment trouver... Mais il faut prendre rendez-vous dans tous les cas. Je peux m'en occuper et te transfère la date, l'heure et le lieu. L'employé-e de Schicksal ne peut pas être là en permanence, il faut un peu attendre, et iel donne rendez-vous à des lieux différents en fonction à chaque fois." Les lieux de rendez-vous pouvaient être cocasses, du bâtiment désaffecté aux vestiaires d'une supérette de quartier jusqu'à une obscure boutique de perruques. L'idée restait après tout de ne jamais faire remarquer sa présence aux mêmes endroits. "Je serais ton garant toute façon. Faut signer des trucs oui, genre ton truc de dettes et un truc de consentement, parce que si tu veux finalement plus d'magie y'a pas de retour arrière. Ta famille fait pas partie d'l'embrouille, juste toi." Encore heureux qu'ils ne mêlaient pas les familles, ça serait bien difficile sinon... Enfin, ça, il n'était pas sensé le dire à Léandro, c'était une idée qui permettait entre autre d'éviter les trahisons, mais il lui semblait que l'idée de perdre la vie était suffisante pour empêcher les gens de trop jouer avec Black Mamba. Il avait bien entendu parler d'un espion qui s'était fait fusiller il y a quelques années : il avait intégré l'organisation, fait filer des informations, et on avait retrouvé son corps et une balle dans le crâne quelques jours après. "C'est pas une si grosse dette, débloquer ta magie. C'est six mois d'contrat... Une dizaine de p'tites missions peut-être..." Il y avait des dettes plus sévères quand il s'agissait de magouilles plus complexes : permettre un total changement d'identité à quelqu'un en faisant effacer toute preuve de leur ancienne existence et fournissant toutes les nouvelles pièces coûtait plus cher par exemple. Les assassinats commandités étaient particulièrement coûteux s'il fallait s'en prendre à des personnes bien protégées. Enfin, certaines personnes avaient bien de l'argent pour payer les services... Mais ce n'était pas tout le monde. "Et puis... Tu peux transférer ta dette à quelqu'un qui est déjà dans l'organisation," marmonna t-il, changeant encore de position assise sur son tabouret, constatant tristement que son verre de lait aux fraises était bientôt terminé. Il ne voulait pas directement lui proposer de prendre sa dette, il n'était pas certain de comment il le prendrait, alors il se contentait simplement de laisser traîner l'idée, pour plus tard.

Mon deuxième verre vide, j'hésite à en prendre un troisième, mais les cases responsabilités et raisons s'activent pour m'en dissuader. Il ne serait en effet pas raisonnable d'alimenter un peu plus mes veines en alcool, surtout que ma nuit est loin d'être terminée. Refoulant cette envie en moi, je m'intéresse un peu plus au conte du lapin de la lune. L'ouvrage se trouverait en bibliothèque, j'irai donc y faire un tour par curiosité lorsque j'aurai un creux. J'aime bien découvrir des nouveautés, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'œuvres appréciées par des amis. Changeant de cap dans notre conversation, je m'approche subrepticement de mon interlocuteur. C'est que le sujet est quand même sérieux et il ne faudrait pas qu'il tombe dans des oreilles mal intentionnées, car au fond, c'est de ma faute si Neven m'informe sur ce monde un peu hors-la-loi, donc je n'aimerais pas que ça lui cause des problèmes parce qu'un badaud a été indiscret. Il m’apprend pas mal de chose sur l’organisation. J’avoue ne m’être jamais vraiment penché sur la question. On pourrait croire que je ne m’intéresse à rien mais ce n’est pas totalement vrai. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de tout savoir pour bien vivre et qu’être ignorant, parfois, ça a du bon. Cependant, j’ai besoin de connaître tous les aboutissants si jamais je me lance sur ce chemin.
Ce qui me fait poser la question : est-ce que ça vaut le coup de s'embourber dans un tel contrat ? Les souffrances que me procure le scellement de ma magie ne sont pas agréables, mais je peux le supporter encore quelques années. Est-ce le bon moment ? Mes frères et sœurs auront bientôt terminé leurs études et commenceront à travailler, ça ne se joue qu'à quelques années. Mais il est vrai que la magie des plantes semble plutôt utile, au moins d'un point de vue alimentaire. Bizarrement, je suis habituellement impulsif, mais là, je me laisse le temps de la réflexion et pèse le pour et le contre. C'est sûrement le côté illégal de la chose qui me retient de foncer les yeux fermés. Je n'ai pas de terrain à Mondstadt…  Ah, Neven n'a visiblement pas toutes les informations à jour à mon sujet. Mais en avons-nous déjà discuté ? On a dû s'installer en ville pour des raisons pratiques. Mais, il y a toujours moyen de trouver un endroit où cultiver des trucs. À l’abri des regards. dis-je en souriant malicieusement. Des terrains à squatter, ça se trouve facilement. Il suffit de savoir où chercher, et mon alter-égo a déjà sillonné pas mal de kilomètres aux alentours. Par contre, je n'ai aucune idée de comment réussir à contrôler tout ça. Est-ce que ça se fait instinctivement, ou s’il faut se concentrer, visualiser un truc... Aucune idée. Mes épaules se lèvent puis s’affaissent. Oh le quantum... je pense que toutes les magies ont une utilité, sinon pourquoi sont-elles apparues ? C’est juste qu’on n'a pas encore découvert à quoi elle sert. Si ça se trouve, c’est super puissant. C’est juste qu’on ne le sait pas encore Ce n’est pas parce que ça nous semble inutile dans la vie de tous les jours que ça l’est vraiment. Je ramène la discussion sur l’organisation, histoire d’avoir toutes les informations. Je ne veux pas que ma décision engendre une mise en danger de ma famille alors que le but est, au contraire, de la protéger. C’est ce qu’on dit, la famille est un moyen efficace pour faire pression ou faire obéir n’importe qui. Ça reste une faiblesse. Ce ne sont pas des enfants de chœur non plus, donc je préfère rester méfiant. Six mois, c'est long et court à la fois. Ils ne peuvent pas te donner une mission, genre quelque chose à faire tout de suite maintenant ? Ils nous laissent un peu de temps pour nous organiser au moins ? Parce que j’ai un métier auquel je tiens et je ne peux pas m’éclipser au premier sifflet. Je regarde Neven lorsqu’il parle de transfère de dette. Chacun sa merde. Si je me lance là-dedans, j'assume et je m'affranchis de ma dette seul. Je me sentirais mal de laisser quelqu’un d’autre le faire pour moi. Je souris et repousse mon verre tristement vide sur le comptoir et m’étire. Tu me laisses le temps de la réflexion ? Je te recontacte pour te dire ce qu’il en est. Je sors mon portable, ouvre le répertoire puis je le lui tends. Donne-moi ton numéro, ça sera plus simple.  Pendant ce temps-là, j'héle le barman afin de régler ma note.

Partager des informations sur des magouilles qui sortaient de la légalité à un ami d'un milieu précaire, ce n'était jamais comme en parler aux autres. Ça venait plus facilement, il était plus facile de s'imaginer que quelque part, la personne en face comprendrait l'attrait derrière la prise de risque, parce qu'il n'était pas si rare d'un peu dépasser les limites pour subsister. Là où il vivait, dans son quartier, il était courant d'apprendre qu'un-e voisin-e trempait dans des affaires louches, et de juste détourner le regard tant qu'on ne pâtissait pas de leurs actions, Partager ces choses à Léandro ne lui paraissait pas tant risqué tant qu'il n'y avait donc pas d'autres oreilles indiscrètes à traîner et pouvoir entendre leur conversation, même s'il se rendait bien compte qu'il parlait tout de même à quelqu'un qui jusque là avait toujours tout fait dans les règles.
Toujours était il que Neven trouvait injuste que Léandro soit coupé de sa magie si la magie l'avait choisit. Il y avait bien un moyen de rentabiliser ça pour gagner de l'argent... Et le sceau était désagréable à porter, inutilement douloureux, une punition plus qu'autre chose, puisqu'il pensait que des adultes auraient toujours moins de possibilités de créer des accidents que des adolescents. Et pourquoi passer obligatoirement par l'université pour avoir le droit de s'en servir ? Il savait qu'on n'y donnait pas des leçons si uniques, que tout finalement pouvait s'apprendre avec juste la supervision de quelqu'un comprenant la magie... Ce n'était qu'une histoire de contrôler de potentiels éléments perturbateurs.
Mais en court de conversation, voilà qu'il se retrouvait à constater qu'il ne connaissait tout compte fait pas tant que ça Léandro. En réalité, ce n'était pas étonnant, ils n'avaient jamais eu de discussions si poussées, juste du vent, des plaisanteries, des mots échangés qui pesaient peu, quelques éclats d'informations entre deux notes légères. Ayant appris qu'il était de Mondstadt, il s'était dit que le Foxien y était encore, qu'il prenait juste les transports en commun pour se rendre au travail... Mais il découvrait désormais que ce n'était pas le cas, et qu'il vivait bien en ville avec sa famille, prisonniers d'une zone étouffante où la verdure ne subsistait qu'à quelques endroits décrits comme des parcs, ou dans des zones assez abandonnés pour que la verdure triomphe sur le bitume. "Oui, j'imagine qu'il y a bien un moyen de trouver un bout de terre quelque part... Ou de s'arranger avec d'autres personnes du quartier... Ça existe les jardins partagés, après tout." Il en avait entendu parler par il ne savait plus qui, et n'avait pas trop écouté, mais il savait que ça existait. Il y avait du moins des personnes qui appréciaient le concept, et à bien y songer, c'était toujours profitable de mettre en place ce genre de choses. Si quelqu'un avait un terrain, et une autre personne des pouvoirs liés aux plantes... Peut-être devrait il se renseigner pour voir s'il ne serait pas possible de mettre ça en place avec des voisins, peut-être que ça ferait plaisir à Amicia, cette histoire de jardins partagés...
Comment contrôler la magie ? Il considéra les mots de Léandro, pensif. S'agissait il vraiment de la contrôler, ou de la comprendre dans le sens qu'elle prenait dans un organisme ? Il lui semblait qu'il s'agissait plus de rentrer en symbiose avec elle et ses manifestations, parce qu'elle ne suivait jamais les mêmes règles pour tout le monde. "La magie t'a choisit, et je dirais que son utilisation dépend de ta capacité à comprendre comment elle s'épanouit en toi... J'veux dire... J'pense tu pourras pas la maîtriser sans comprendre comment elle résonne avec ton tempérament. Après... Après ça devient plus évident." Sa magie à lui avait toujours été explosive, miroir de ses émotions, et la contrôler avait beaucoup voulu dire comprendre cet aspect et l'accepter. Sa magie était une pure arme, un concentré d'explosif, elle se manifestait en lui comme un incendie dévorant, et il avait pu en faire un usage plus contrôlé qu'en saisissant la manière dont elle l'imprégnait, dont elle résonnait avec lui-même. Maintenant, il pouvait la rendre inoffensive, faire des papillons sombres comme un magicien pour les enfants sans risquer de les blesser... Mais ce n'était jamais possible qu'après l'avoir pleinement comprise. "Ah, l'quantum... Ça peut servir pour la bagarre... C'est vrai qu'on comprend encore mal c'que c'est, on comprend qu'à peine à quoi rime l'Imaginaire, alors..." Le deuxième élément avait été plus étudié du fait de son lien à l'Honkai et à la catastrophe qui avait faillit dévorer ce monde. Toutes ces catastrophes n'étaient que fruit de cet élément mystérieux, et le quantum n'était jamais qu'un opposé qu'on lui avait découvert, mais qu'on ne pouvait utiliser. Mais ce genre de choses, ce n'était pas ce qui l'intéressait, ça ne ramenait pas à manger dans l'assiette de ses protégé-e-s.
Neven ne savait pas exactement quoi ressentir en entendant les questions de Léandro sur Black Mamba, son possible intérêt... Peut-être quelque chose entre un soulagement à l'idée qu'il puisse être aidé, ou une certaine tristesse à l'idée qu'au fond, beaucoup finissent par songer à tomber dans les bras d'organisations illégales à force de trimer sans entrevoir la lueur du jour. Cependant, à son sens, cette organisation n'était pas aussi terrifiante qu'on le disait, elle avait ses vices, il y avait de la corruption et des drames sur son chemin, mais il lui semblait que c'était un moindre mal face au reste. "Ils ont pas toujours b'soin d'envoyer les gens faire des trucs. C'est en fonction des plans du moment. Souvent y t'font bouger la nuit, surtout pour les p'tites mains." Il n'avait pas souvenir d'avoir été envoyé faire quoi que ce soit le jour avant d'être promu à un rôle plus important... Et même là, à part si on lui donnait une mission sur plusieurs jours, on se contentait souvent de l'épargner d'avoir à appeler ses autres travail pour expliquer qu'il était subitement malade (ce qui sonnait rarement si crédible quand il venait travailler fiévreux et tremblotant les autres jours).
Toutefois, c'était plus fort que lui, il lui avait fallut évoquer le sujet du transfert de dettes, comme pour offrir une occasion d'obtenir de l'aide sans avoir à tout assumer seul. Peut-être que certaines personnes n'aimeraient pas qu'on leur suggère cette option, mais il lui semblait malhonnête de prétendre qu'elle n'existait pas. Et puis... Léandro était un ami, ce serait encore pire de lui cacher l'option. Malgré tout, il semblait toutefois considérer de tout assumer seul. Une bonne ou une mauvaise chose ? Il n'en savait trop rien. Sur six mois, il était peu probable qu'on lui fasse courir tant de risques... S'il s'agissait de taguer ou déchirer des affiches, faire des affichages sauvages, ou saboter quoi que ce soit... Ce n'était pas des gestes bien vus, mais ce n'était pas non plus si moralement répréhensible.
Terminant d'une dernière gorgée son triste lait aux fraises, il tira son téléphone de sa poche, ouvrant l'onglet des paramètres puis celui des informations de l'appareil où le numéro était affiché pour le lui tendre. "Quelle que soit ta décision, c'est en effet mieux qu'tu y réfléchisses j'imagine. Puis sinon, t'peux toujours m'envoyer des messages pour c'te histoire de course..." Il était toujours curieux à l'idée de savoir à quel point il était rapide, s'il avait déjà remporté des compétitions. Il n'y avait plus en ce monde de véritables grands spectacles autour du sport depuis des siècles, mais peut-être qu'à une époque, il aurait pu être un athlète de haut-niveau, s'il était si bon que ça. Les Foxiens, en général, avaient dû souvent être le genre de personnes à être envoyées faire la course...
Profitant de l'arrivée du barman pour lui aussi régler sa part, il laissa avec s'envoler la maigre satisfaction apportée par la boisson trop sucrée bien vite achevée, se demandant quand seulement il se permettrait d'autres écarts de ce genre. Il avait aussi une envie de tartes aux fraises... Mais avec cette histoire de course, il risquait d'encore dépenser de l'argent pour d'autres personnes que ses protégé-e-s, et ainsi, il était mieux de se montrer plus raisonnable. Il y avait aussi qu'il avait récemment dépensé plus qu'à l'accoutumé pour cette histoire de confiture pour Dàshén et sa tortue... Mais Shabu avait été ravie, ce qui en soit était l'essentiel. Quant à Dàshén... Ah, tant qu'il avait encore le droit de l'ennuyer, il se fichait du reste. "Si tu récupères tes pouvoirs, quand t'auras capté comment les utiliser, j'pourrais t'demander d'faire pousser des pissenlits ? C'pour la tortue d'un pote." Pote qui le considérait probablement plus comme le démon de ses paralysies du sommeil, un trouble à son quotidien tranquille, ou un boulet dans ses pattes, mais ça, il n'était pas obligé de lui préciser. Et puis, c'était bien d'avoir des perspectives d'avenir, non ? Des perspectives d'avenir incluant de faire plus de confiture pour une tortue, c'était toujours un peu penser à demain. Et penser à recroiser Léandro, parce qu'après tout, lui c'était vraiment un pote. Un pote qu'il ne savait jamais quand il le recroiserait.

La soirée est bien entamée maintenant. Le temps passe rapidement lorsqu’on est en bonne compagnie. En plus d’avoir passé un bon moment, j’ai aussi récolté des informations précieuses. Je ne suis pas encore certain de ce que je vais en faire, mais c’est toujours bon d’avoir des cartes supplémentaires en main. Si le sceau peut être brisé, me soulager par la même occasion et rendre ma magie utile pour les miens alors c’est tout bénef. Mais ça veut aussi dire consacrer du temps à une organisation pas trop bien vue des forces de l’ordre et aussi des heures d’apprentissage pour réussir à comprendre ma magie et la maîtriser. Tout est à prendre en compte, c’est pourquoi je préfère prendre le temps de la réflexion plutôt que foncer tête baissée. Cela ne me ressemble pas, toutefois, j’ai conscience que ça peut impacter ma famille donc ça me calme un peu.
La conversation nous fait parler de mon ancienne ville, Mondstadt. C’est mon rêve d'y retourner, mais trop galère pour tous les membres de la famille Narvaez actuellement. Faudrait se lever plus tôt pour se rendre à l’université, puis prendre les transports en commun alors qu’ils peuvent y aller à pied. Économie de temps et d’argent au final. Jardins partagés ? Ah, je vois plus grand, moi, des champs derrière Mondstadt… il y en a à perte de vue. Pourquoi se contenter de peu quand on peut avoir plus ? Il y a tant de champs inexploités aux alentours, il suffit de s’arranger avec les propriétaires ou même se greffer à l’un d’entre eux incognito. Parfois, les parcelles sont tellement grandes que ça peut passer largement inaperçu. En pensant comme ça, j’ai déjà un pied dans l’illégalité alors pourquoi faire des simagrées ?
Je règle ma dette auprès du barman et ajoute ensuite le numéro de Neven dans mon répertoire. Nos rencontres sont trop aléatoires, il peut se passer quelques jours comme des mois avant qu’on se recroise à nouveau et il ne me faut pas tout ce temps pour réfléchir. De plus, il y a toujours cette histoire de course avec resto à la clé. Le jour où mon estomac crie famine, je n’hésiterai pas à utiliser ce joker.
Dans l’hypothèse où j’accepte de voir la personne de Schicksal, de lever le sceau et d'apprendre à user de mes pouvoirs, Neven me demande une faveur. Il veut des pissenlits, c’est étonnant comme demande. Toutefois, je ne peux qu’accepter, même s’il s’agit plus de mauvaises herbes de mon point de vue. Je lui ferai un carré de pissenlits rien que pour lui, enfin pour la tortue de son ami. Oh, moi aussi je connais quelqu’un qui a une tortue ! Je ne savais pas que c’était un animal de compagnie populaire. Je ferai des pissenlits sans problème... Je me redresse, saute de mon tabouret énergiquement tout en essuyant un léger vertige. Le sol tangue un peu ou alors l’alcool fait encore des siennes. Je tapote sur le comptoir pour regagner l’attention de Neven ... et des fraises pour toi. Il doit vraiment apprécier ça au vu de la boisson qu’il a choisi ce soir. Je lui adresse un clin d’œil, lui souris et tourne les talons vers la sortie. À la prochaine !