Mondstadt, ça faisait un petit moment qu’il n’y avait pas remis les pieds. Sa convalescence l’avait éloigné de ce petit village qu’il affectionnait tant. Il y avait passé presque une décennie avant de retourner dans l’effervescence de la capitale, et il devait l’avouer, mais l’air frais et les grands horizons lui manquaient parfois. Malheureusement, son commerce fonctionnait mieux là où se trouvaient les plus fortunés, donc un retour ici n’était pour le moment pas d’actualité. Il s’autorisait donc parfois un petit retour aux sources, et le simple fait de dire ça faisait de lui un Vidyadhara à part. Parce que plutôt que d’aller au temple saluer les anciens, il préférait aller ailleurs et considérait mieux ce lieu que celui où il avait grandi.

Ce n’était pas de l’ingratitude, il aimait aussi le quartier Ouest, l’immense et magnifique temple qui y siégeait. Mais il avait fait le choix de se détacher de tout ça, il avait acquis le nécessaire pour devenir un adulte responsable avec ceux de son espèce, il se devait donc de passer à autre chose et découvrir ce que le reste avait à lui offrir. Il pensait peut-être comme un vieux, son âge aidant, mais il n’en restait pas moins qu’un jeune adulte. Ce n’était pas de la sagesse, mais plutôt un besoin de se détacher de ses origines, comme pour pouvoir couper le cycle de manière métaphorique.

Passant devant son ancienne maison, il s’y arrêta un instant et salua les nouveaux propriétaires. Puis, il traîna dans les ruelles calmes avant de s’éloigner un peu des habitations. Il faisait plutôt frais ce jour-là, mais le temps restait clément. Le peu de rayons de soleil qui filtraient les nuages suffisaient à embellir la journée. Il marchait tranquillement lorsqu’un bruit derrière une fougère dégarnie par l’hiver attira son attention. Ça regorgeait de bestioles aux alentours du village, et elles s’approchaient de plus en plus pour trouver de quoi se nourrir. Dàshén s’avança et écarta quelques branchages, dévoilant une sorte de gros chien sauvage. Il ressemblait pas mal à celui qu’il nourrissait parfois, mais ce n’était pas lui. Le dragon n’était pas très observateur, ni du genre à s’attacher à des détails, mais la fourrure de celui-ci était beaucoup plus fournie que son loup déplumé. Mais peut-être qu’ils étaient de la même famille. Alors confiant, il approcha sa main comme pour le caresser mais ce dernier releva ses babines. Ah, il devait sans doute y aller de façon plus subtile avec celui-ci. Après tout, il avait déjà réussi à en amadouer un, donc ça allait être un jeu d’enfant. Fouillant dans ses poches, il grimaça en se rendant compte qu’il n’avait même pas apporté de quoi grignoter.

L’animal, toujours menaçant et loin d’être farouche, s’approcha un peu plus du dragon.  « Ah, je n’ai rien à te donner à manger » soupira-t-il avant d’entendre quelqu’un approcher derrière lui. Détournant ses yeux du loup pour les poser sur le nouveau venu, il sourit en découvrant son identité. « Léandro, ça fait un bail » Il ne s'attendait pas à tomber sur lui, surtout ici puisqu'il avait lui aussi quitté le village pour la capitale. Mais il était content de voir un visage familier. Ils s'étaient rencontrés un peu par hasard deux ans auparavant et il n'était pas rare qu'ils se retrouvent autour d'un verre de temps à autre. Léandro était de ces personnes faciles à vivre, avec qui il était simple de créer une amitié.  « T'as pas un truc à manger par hasard ? » demanda-t-il naïvement à quelqu'un qui passait sa vie en quête de nourriture.

Imperméable aux conseils de Léandro et bien trop confiant en son propre jugement, le dragon ne l’écouta pas et continua à tendre sa main vers l’animal. Il savait y faire avec eux, il l’avait déjà fait après tout, donc ça ne pouvait pas en être autrement. Il était buté, n’en faisait qu’à sa tête et ça lui jouait des tours parfois. Mais alors que le loup face à lui relevait une nouvelle fois les babines, Dàshén se retrouva brusquement tiré en arrière par le Foxien, son écharpe agissant comme un rempart face aux crocs menaçants. Le cul par terre, il n’eut pas le temps de réagir plus que ça et se laissa tirer en arrière, sa surprise laissant place à une reconnaissance envers Léandro.

Après une bonne course, le Vidyadhara s’arrêta pour reprendre son souffle, les bras en appui sur ses genoux. Il n’était pas du tout sportif, donc le moindre effort relevait du supplice pour lui. Il se massa ensuite le cou, victime d’une tentative involontaire d’étranglement. « Je ne sais pas si je dois te remercier ou avoir peur, parce que ça ressemblait plus à une tentative de meurtre qu’à un sauvetage. » Mais au moins, sa main était sauve et c’était le plus important. Pas sûr qu’un orfèvre manchot puisse continuer à accomplir de belles pièces avec la minutie de quelqu’un ayant toujours ses deux mimines. « Ils sont moins sauvages que ça d’habitude.  » constata-t-il, ignorant totalement qu’il avait toujours eu un Foxien face à lui plutôt qu’une véritable bête sauvage. Mais alors qu’ils avaient baissé leur garde, les grondements sinistres des prédateurs résonnèrent derrière leur dos.

Les deux loups n’avaient visiblement pas dit leur dernier mot et avaient suivi leur trace. Hormis le fait qu’il ne souhaitait pas se faire croquer, Dàshén ne voulait pas non plus les inciter à aller plus loin dans le village et risquer qu’ils ne blessent l’un de ses habitants. L’idée d’utiliser son pouvoir pour les faire fuir était tentante, mais il ne pouvait pas le faire ici sans risque de foutre le feu à tout le quartier, donc la seule solution était de les attirer ailleurs, bien loin de toute civilisation. « Faudrait essayé de les attirer loin d’ici » Dàshén restait sur ses gardes, le regard naviguant entre Léandro et leurs compagnons à quatre pattes. « Le mieux c’est de se séparer, tu prends à gauche et moi à droite… on se rejoint au saule pleureur derrière la clairière.  »  Léandro devait connaître le lieu de rendez-vous puisqu’il avait passé une grande partie de sa vie dans le coin.  Attrapant un caillou au sol, il le lança sur l’un des loups pour l’inciter à le suivre avant de déguerpir et prendre… à gauche.

C'était peut-être une mauvaise idée… Non, ce n'était pas une incertitude, mais plutôt une certitude. C'était une mauvaise idée. Le Vidyadhara n'était pas plus rapide qu'un animal, et il regretta rapidement de ne pas avoir les facultés de ses ancêtres pour se transformer en véritable dragon. Courant comme si sa vie en dépendait, il ne pouvait s'empêcher de jeter un coup d'œil par-dessus son épaule de temps en temps pour évaluer s'il était sur le point de perdre un bout de fesse ou non. Mais visiblement, la peur de se faire mâchouiller comme un vulgaire nonos lui donnait des ailes, et il avait l’impression de pouvoir rivaliser sur une piste de course avec un sprinter pro. Sa destination en vue, il accéléra. Une fois arrivé, il grimpa à l’arbre maladroitement et chercha du regard son ami, espérant qu’il ne lui soit rien arrivé par sa faute.

Malgré ses soixante-deux années d’existence, Dàshén ne s’était jamais intéressé à une discipline sportive. Son métier était par moments un peu physique et cela lui suffisait largement pour rester en forme, donc il n’avait jamais ressenti l’envie de pratiquer un sport. Maintenant que le problème se posait, il regrettait de n'avoir jamais développé son endurance. Reprenant son souffle avec difficulté, le dragon laissa Léandro lui taper entre les omoplates, non sans marmonner quelques jurons. Était-il en train de s’étouffer ? Non, il manquait seulement d’oxygène, donc son geste semblait inutile face à la situation. Néanmoins, conscient que cela partait d’un bon sentiment, il ne chercha pas à l’éviter. « Tu n’as qu’à devenir mon coach » plaisanta-t-il, priant tout de même pour qu’il ne le prenne pas au mot. « Et je t’ai déjà dit que je sais les reconnaître. » Dàshén n’en démordait pas, il savait faire la différence entre un foxien et un animal sauvage. Il était même un peu vexé d’entendre Léandro douter de ses facultés de reconnaissance. De plus, il estimait vraiment cette espèce, puisqu’il comptait pas mal d’amis parmi elle, et il savait bien qu’aucun d’entre eux ne s’abaisserait à se comporter comme un toutou prêt à tout pour obtenir une gourmandise.

Mais alors qu’ils se pensaient loin de tout danger, les deux bestioles revinrent à la charge. Son visage se décomposa un peu en comprenant qu’ils allaient devoir soit les affronter, soit tenter de les semer une nouvelle fois en courant comme des dératés. Opinant du chef silencieusement à la question rhétorique de Léandro, il se mit à réfléchir à une solution. Les éloigner semblait être l’option la plus appropriée. Soupirant, il exposa son plan puis attendit l’approbation de son partenaire de galère. Sans attendre plus longtemps, il le mit à exécution, non sans mal, puisque les deux se rentrèrent dedans. Lâchant un juron, il se reprit rapidement avant de déguerpir comme un lapin. Le point de rencontre lui semblait à des kilomètres alors que ce n’était au final qu’à quelques mètres. L’atteignant, il grimpa à l’arbre avant de scruter l’horizon. Son ami n’arrivait pas et il commençait à s’inquiéter un peu puisque des deux, c’était bien lui le plus rapide. Mais il était vrai qu’en passant par la ville, il y avait sûrement rencontré plus d’embûches. L’attention accaparée par le loup au sol, il ne vit pas Léandro arriver mais l’entendit lui demander de fermer les yeux. Pourquoi donc ? Dàshén était parfois un enfant, si on lui disait de ne pas faire quelque chose, il avait justement envie de le faire. Mais la suite lui coupa l’envie de désobéir. Il voyait déjà assez d’atrocités dans ce monde…

Un rictus narquois naquit aux coins de ses lèvres. « Il n’y a rien à mater de toute façon. » En tant qu’élémentaire du feu, le vidyadhara avait la chance de ne pas craindre la morsure du froid. C’était un grand avantage pour lui, puisque son espèce était malheureusement connue pour être l’une des plus frileuses. Et ce n’était même pas une légende, puisqu’il avait assisté à la scène à plusieurs reprises, devenant garde malade pour l’ancien qui l’élevait à ce moment-là. De ce fait, il ne rechigna pas lorsqu’il dut se délester de ses biens. Faisant tout d’abord glisser son écharpe de son cou, il la tendit à Léandro avant de quitter son manteau. Le laissant s’habiller sommairement, il en profita pour faire parler sa magie et ainsi, tracer une barrière de feu. Cette dernière obligea dans un premier temps les loups à s’éloigner un peu. Puis, faisant comme un chemin de flammes, il les conduisit à aller là où il le souhaitait. « Ça va mieux, ou tu veux plus de flammes ? Ça m’embêterait que tu meures de froid. Ce serait surtout idiot de mourir le cul à l’air, et je me vois mal de devoir expliquer ça à ta famille.  »

Dàshén n'avait pas besoin de paris pour démêler le vrai du faux. Il savait faire la différence, point. Il n'y avait que Léandro qui s'obstinait à lui dire le contraire; une erreur une fois n'était pas une généralité. Fronçant les sourcils, un peu vexé de ne pas être cru, il finit néanmoins par accepter le défi. La prochaine fois, il lui prouverait qu'il n'était pas si stupide que ça. Ils n'eurent cependant pas le loisir de débattre plus longtemps sur le sujet, car ils durent reprendre leur course. Le dragon arriva au point de rendez-vous le premier et fut très vite rejoint par le foxien, qui visiblement avait perdu toutes ses fringues en route. Respectant l'ordre de celui-ci de ne pas le regarder, il en profita pour le tacler gentiment, comme un juste retour des choses. C'était sans doute pour se venger de ses doutes précédents. Il grimaça en l’entendant dire qu’il serait surpris. « Surpris dans le mauvais sens, ça c’est sûr, oui » concéda-t-il avant de lui céder son manteau. Puis, ne perdant pas plus de temps, il s'affaira à faire apparaître des flammes. Bienheureusement, il avait suffisamment d'années d'expérience pour les contrôler parfaitement et ne pas mettre le feu aux alentours. L'un des loups glapit lorsque quelques poils de sa queue roussirent. « Ah, désolé pour toi, ça va repousser, mon ami. » dit-il en arborant une légère moue sur son visage. Il ne leur voulait pas leur faire de mal, juste les faire fuir, donc cela impliquait de devoir les obliger à prendre une certaine direction.

Se faisant féliciter par Léandro pour ses talents, le vidyadhara se redressa sur l’une des branches de l’arbre en affichant une fière allure. « Merci, merci » Un sourire triomphant accroché au visage, il se tourna vers son ami avant d'éclater de rire en voyant sa dégaine. Tâtant ses poches à la recherche de son portable avant de se souvenir qu'il se trouvait dans son manteau et que son manteau se trouvait sur les épaules de Léandro. Quel dommage ! Il aurait tant aimé immortaliser cette image, pour la lui ressortir à chaque nouvelle occasion où c'était nécessaire. Se mordant les lèvres, les larmes aux bords des yeux sous l’hilarité qu’il tentait de contenir, il secoua la tête positivement à la demande de Léandro. Il ne pouvait pas lui refuser ça après le spectacle qu’il lui fournissait, même s’il rejetait la faute sur lui. Puis, c’était qu’il n’avait pas tout à faire tort donc il pouvait bien se rattraper. « Évidemment ! C’est parti, on y va de suite. J’aime pas laisser traîner des dettes. » Sourire narquois parce qu’il le prenait au mot et ne lui laissait pas le loisir de choisir une date. Il voulait un repas, il l’aurait et tant pis s’il était habillé comme un plouc. Enfin… la classe du cache misère relevait quand même le niveau.

Mondstadt n'était pas si loin de Sainte-Fontaine, mais pas proche non plus, c'était un entre-deux qui pouvait se faire si on avait du temps à tuer. Cependant, au vu de l'allure de Léandro et de ses paroles, il n'était pas en mesure de faire le trajet rapidement et sereinement. S'il parlait de béquille, c'était qu'il s'était sans doute fait mal. « Tu t'es blessé ? Rien de grave, j'espère. » Il s'en voudrait si c'était vraiment une blessure alarmante. « T'en fais pas, j'suis un fainéant, je viens toujours en voiture. » Le rassura-t-il avant d'envisager de descendre de l'arbre. Dàshén regarda le foxien s'emballer en bas et lui fit un geste de se décaler sur le côté. « Pousse-toi, tu veux que je te termine ou quoi ? » Descendant de son perchoir, il s’approcha de Léandro et s’accroupit devant lui, présentant son dos. « Allez monte, je t’emmène jusqu’à ton carrosse, Roméo »

Dàshén aurait dû se méfier en proposant de régler sa dette maintenant. Misant sur une éventuelle pudeur de la part de son ami, il s’était totalement fourvoyé. Après tout, il s’agissait de Léandro, donc il aurait dû prévoir qu’il accepterait de se rendre dans un restaurant même en ayant que peu de vêtements sur lui. Il était opportuniste, et si l’occasion de grappiller des avantages se présentait, il la saisissait, peu importe les inconvénients. Tant pis, le dragon endurerait le moment, et puis, s’il voulait voir le côté positif de la chose, il pouvait se dire qu’il serait la cible de nombreux regards. Il appréciait d'être le centre d’attention, que ce soit pour des bonnes ou des mauvaises choses.

Une fois débarrassés des loups, ils purent enfin quitter leur perchoir. Léandro fut le premier à descendre, et à ses mots, Dàshén comprit que ce dernier s’était blessé durant sa course. Le moins expérimenté des deux en matière de sport malgré ses soixante-deux années d’existence, c'était bien le vidyadhara, alors comment le foxien avait-il pu se retrouver avec une cheville en vrac ? Une simple foulure pouvait vite devenir plus grave si l’on n'y faisait pas attention. « Je ne m’en fais pas, comme je n’ai rien à me reprocher. Pas de ma faute si tu tiens pas sur tes deux jambes non plus. » Invité à descendre, Dàshén fit un signe un tantinet impérieux pour que Léandro libère l’espace. « Je n’ai juste pas confiance en tes capacités de réception. » Au sol, il se plaça devant l’estropié pour lui présenter son dos. Ce n’était pas dans ses habitudes d’être aussi attentionné, mais il éprouvait une pointe de remords. C’était chose rare, ça arrivait une fois tous les six mois au minimum, donc Léandro devait s’estimer heureux de cette attention.

D’ailleurs, ce dernier ne se fit pas prier pour lui sauter littéralement sur le dos. Le dragon grimaça et émit une plainte sous le poids de sa charge. Il paraissait beaucoup plus léger que ce qu’il faisait réellement. Après avoir éprouvé des remords, il éprouvait désormais des regrets, car il craignait de se briser les vertèbres. Fort heureusement, il n’était pas garé si loin que ça. Sentant le menton de Léandro se poser dans le creux de son cou, il secoua légèrement la tête. C’était bien la première fois qu’ils se retrouvaient aussi proches l’un de l’autre. « Recommence encore une fois et j’te lâche » menaça-t-il en réponse à son enthousiasme un peu trop débordant. Il le prenait vraiment pour un cheval de course, alors que Dàshén avait plus l’impression de soulever un sac à patates plutôt qu’un joker.

Le trajet, bien que court, lui sembla durer une éternité. Il aimait mettre ça sur le dos de sa blessure, plutôt que d’admettre qu’il n’avait aucune endurance. Il avait eu le temps de guérir depuis, il était moins douloureux et sa blessure faisait partie du passé mais elle avait le dos large et devenait la cause de beaucoup de ses problèmes. Question de fierté pour la plupart du temps. La voiture dans son champ de vision, il accéléra le pas afin de pouvoir se décharger du poids mort pesant sur sa pauvre colonne vertébrale. Ouvrant la porte, il attendit que son passager prenne place avant de s’installer à son tour derrière le volant. Il était temps de retourner en ville et d’offrir un bon repas à ce cabot boiteux.